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Célébrer l'esprit communautaire

La cheffe opératrice Alice Brooks nous parle de l'utilisation des objectifs anamorphiques DXL2 et série G pour créer l'envergure de la comédie musicale du directeur Jon M. Chu, In the Heights.

En 2002, lorsque la cheffe opératrice Alice Brooks et le réalisateur Jon M. Chu étaient encore étudiants en cinéma à l'université de Californie du Sud, ils s'étaient associés à l'occasion du tournage du court-métrage When the Kids Are Away, une comédie musicale relatant le quotidien d'un groupe de mamans d'un même quartier une fois leurs enfants partis à l'école. Durant le tournage, Jon avait interviewé Alice devant la caméra en lui demandant pourquoi elle tenait à participer à ce court-métrage. Pour citer Alice : « J'ai toujours aimé les comédies musicales. Ma mère était actrice, danseuse, et chanteuse, mon père était metteur en scène et dramaturge, et j'ai grandi en allant au théâtre. Lorsque tu m'as remis ton scénario de comédie musicale, je savais que je devais le faire. Notre passion pour les comédies musicales a tissé des liens forts. »

Depuis lors, la musique et la danse sont restées au cœur de leurs collaborations créatives pour des projets tels que la série Web LXD: The Legion of Extraordinary Dancers, le film Jem et les Hologrammes, et aujourd'hui la nouvelle comédie musicale, In the Heights. « Alice se souvient qu'en plein tournage de In the Heights, Jon lui a dit, 'Nous nous sommes préparés tout au long de nos carrières pour ce moment précis' ».

Adaptation de la pièce de Broadway, sur une musique et des paroles signées Lin-Manuel Miranda et un scénario de Quiara Alegría Hudes, In the Heights dresse un portrait plein de vie des habitants du quartier de Washington Heights à New York. Désormais en salles et disponible sur HBO Max, In the Heights devait à l'origine sortir en juin 2020, mais la date fut repoussée à cette année en raison de la pandémie. « Ce film ne pouvait pas sortir à un meilleur moment, » souligne Alice. « Son but a toujours été d'offrir une expérience cinématographique époustouflante, mais même dans les régions où les gens ne peuvent pas encore retourner dans les cinémas, il peut donner de l'espoir et nous rappeler ce qu'est vraiment l'esprit communautaire. »

Pour Alice Brooks, la sortie de ce film marque l'apogée d'un périple de cinq ans. « Je savais que Jon tenait déjà beaucoup à In the Heights en 2016, » précise-t-elle. « Il en parlait quelques fois en passant, et dans un coin de ma tête, je me disais, 'Je dois faire ce film'. Et c'est comme ça que, sans rien lui dire, j'ai commencé à compiler des images qui pourraient être intéressantes. »

Et puis, fin 2018, Alice Brooks et Jon Chu se sont retrouvés pour les deux premiers épisodes de la série Apple TV+ Home Before Dark. (Alice Brooks participera également à la réalisation des épisodes 5 et 6). Le soir où Jon est arrivé à Vancouver, lui et Alice ont dîné ensemble et Jon lui a demandé de filmer In the Heights. « Nous avons discuté du premier jet, de l'esthétique et de l'ambiance de l'histoire qu'il voulait raconter, et pourquoi ce projet lui tenait tellement à cœur, » se souvient Alice. « Jon a toujours un lien affectif incroyablement profond avec ses projets, et il avait le sentiment qu'il devait absolument raconter l'histoire de In the Heights."

Le chef décorateur Nelson Coates et le monteur Myron Kerstein - qui avaient déjà collaboré avec Jon Chu sur le tournage du film Crazy Rich Asians - ainsi que le costumier Mitchell Travers rejoignirent également l'aventure en passant de Home Before Dark à In the Heights. Ce film fut également l'occasion pour Alice et Jon de retrouver le chorégraphe Christopher Scott, qui avait été un collaborateur majeur sur les tournages de LXD et Jem et les Hologrammes. Pour Alice, Jon Chu, Christopher Scott et elle-même « travaillent ensemble de manière quasi 'sténographique'. Nous avons su trouver une façon vraiment organique de capturer l'intensité de la danse pour LXD, une série pleine de défis, mais qui nous a parfaitement préparés au tournage de In the Heights."

Trouver l'inspiration sur place

Durant les 10 semaines de préparation pour In the Heights, Alice Brooks souligne que, « Nous avons su très rapidement que le film devait se tourner à Washington Heights. Nous plonger dans la vie de ce quartier a été une incroyable source d'inspiration. J'avais besoin que mon équipe le ressente également, et ainsi, pendant deux jours, le chef électricien Charlie Grubbs, le chef machiniste Kevin Lowry, et les opérateurs A et B Mark Schmidt et Peter Agliata m'ont rejoint à Washington Heights afin que je puisse leur montrer les lieux de tournage. Je tenais à ce qu'ils s'approprient les sites et se sentent impliqués dès le départ. De plus, il s'agissait de mon premier film d'union à New York, et ce temps passé ensemble nous a permis de mieux faire connaissance. Je suis infiniment reconnaissante que le producteur délégué, David Nicksay, et la directrice de production Maggie Engelhardt nous aient accordé ce temps bien avant le début de la phase préparatoire de l'équipe. »

Parallèlement, Alice et Jon avaient commencé à comparer les références visuelles compilées chacun de leur côté en vue du tournage de In the Heights. « J'avais décidé de ne regarder aucune comédie musicale, » remarque la cheffe opératrice. « Nous avions déjà tous les deux une telle abondance de ressources en tête. Nous ne voulions rien imiter ni faire quelque chose juste parce que c'était à la mode. Mais nous tenions à faire un vrai film new-yorkais, et c'est pour cette raison que je me suis mise à regarder des films comme Do the Right Thing, Éclair de lune, ou À la recherche de Bobby Fischer. Mais en réalité, plus que tout autre film ou image, c'est l'esprit communautaire qui a inspiré l'esthétique du long-métrage. Nous avons commencé à collecter des images auprès de photographes locaux, et les œuvres de certains d'entre eux font partie du générique de fin.

« Le fait que Nelson, Mitchell et moi ayons déjà travaillé ensemble sur Home Before Dark était une excellente chose, car nous avons très vite compris à quoi devrait ressembler l'esthétique du film » souligne Alice. Après avoir travaillé avec la caméra Millennium DXL2 de Panavision sur Home Before Dark, Alice Brooks se tourna vers le même appareil pour filmer In the Heights, rationalisant encore davantage sa collaboration avec Coates et Travers. « Nous connaissions tous cette caméra et savions quel serait le rendu des couleurs, » explique la cheffe opératrice. « La DXL2 a été fabuleuse. »

Après essais, Alice Brooks décida d'associer la caméra à des objectifs anamorphiques Panavision Série G. Pour Alice, « Ce film célèbre le quartier de Washington Heights et les immigrants. » Jon remarque pour sa part que, « Ces gens osent rêver en grand, » et il tenait à ce que le film retranscrive cette grandeur. Dans le film, Abuela Claudia [Olga Merediz] parle de 'ces petits détails qui montrent aux autres qu'on n'est pas invisibles'. Les détails que nous avons choisis, comme l'anamorphique et l'enregistrement au format panoramique, voulaient tous dire, « Voici un film généreux et solaire sur des gens qui osent rêver de grandes choses. »

« Jon tenait aussi à avoir une faible profondeur de champ, » ajoute Alice. « Une telle profondeur de champ sur ce type de capteur, avec des objectifs anamorphiques et un format panoramique, nous a donné cette sensation d'intimité que nous recherchions. Tout particulièrement avec nos gros plans sur Usnavi [Anthony Ramos] - il y a une telle intensité, une telle âme dans son regard, et j'ai adoré que notre PoF puisse capturer ça. »

La lumière parasite jouait également un rôle important pour les réalisateurs, en créant des « imperfections » optiques permettant de donner du corps au récit. « Le monde est imparfait, et nous voulions que ces imperfections fassent partie de l'esthétique du film, » explique la cheffe opératrice, avant d'ajouter, « l'une des raisons pour lesquelles j'ai choisi la DXL2 est justement à cause de la façon dont elle rend les lumières parasites. »

En associant le pitch de 5 microns de la DXL2 à une couleur de 16 bits, il est possible d'obtenir un rendu fluide des dégradés subtils d'une lumière diffuse. Pour la cheffe opératrice, « Au final, les lumières parasites ont une qualité unique avec cette caméra, et d'instinct, nous savions que c'était la bonne. La synergie entre les objectifs de la série G et la DXL2 nous a donné les résultats que nous souhaitions. L'absence de filtration, le recours très limité aux caches durs et le retrait du porte-cache de la caméra autant que possible firent le reste. »

Alice Brooks a utilisé le format ISO 1600 natif de la DXL2 pour profiter pleinement des 16 stops de la plage dynamique de la caméra. Elle a également opté de régler le capteur interne de la caméra sur une capture 7K. En prenant en compte le rétrécissement anamorphique de 2x, la résolution effective fut de 4536 x 3780, ce qui permit aux réalisateurs d'utiliser une barre de cadrage de sécurité de 90,3 pourcent afin de pouvoir appliquer un recadrage ou une stabilisation si nécessaire ultérieurement, tout en garantissant une résolution finale de 4K (4096 x 3413).

Alice s'est procuré la caméra et les objectifs de la production auprès de Panavision New York. « Panavision m'a toujours soutenue, et je leur en serai éternellement reconnaissante, » déclare-t-elle. Déjà à l'époque de When the Kids Are Away, Jon leur avait écrit pour demander si nous pouvions utiliser l'une des premières Panavised Sony F900, et ils avaient dit oui. Et nous l'avons utilisée pour tourner le court-métrage. C'est vraiment une relation spéciale. »

La danse entre la caméra et les acteurs

Ce film compte pas moins de 17 scènes musicales, ce qui représente environ 60 pour cent de sa durée totale, estime Alice Brooks. « Toutes n'ont pas de grandes séquences de danse, mais il y a quand même du chant et de la chorégraphie, » précise-t-elle. « Jon avait d'immenses ambitions pour ce film. Chaque scène avait ses propres défis que nous devions relever. »

À titre d'exemple, elle cite la scène d'ouverture, pertinemment appelée « In the Heights » et filmée « aux quatre coins du quartier, dans une multitude de lieux, et sur une durée de temps phénoménale, » explique Alice. « Au tout début des répétitions des scènes de danse, j'ai commencé à réfléchir à l'agencement de l'intérieur de la bodega, là où nous présentons tous les personnages. Il s'agit principalement d'actions qui doivent se dérouler à des moments très précis, comme un journal qui frappe une épaule, ou du sucre et de la crème versés dans un café. C'était une chorégraphie, pas juste de la danse. »

Cette bodega, gérée par son propriétaire Usnavi et fréquentée par tous les habitants du quartier, fut l'un des rares décors construits sur le plateau. « Nous ne sommes restés en plateau que 10 jours, et il s'agissait des 10 derniers jours de notre tournage, » précise Alice. Pour la lumière du plateau de la bodega, elle ajoute, « Je me suis inspirée de la véritable lumière du quartier, celle que nous avions au moment de la chanson 'Benny's Dispatch'. »

Dans cette scène, Nina (Leslie Grace) s'arrête au service de voiturage de son père, au moment où Benny (Corey Hawkins) utilise la radiorépartition. La chanson fut filmée dans un vrai bureau avec une vitrine en verre donnant sur la rue. « J'ai adoré la façon dont le soleil frappait les voitures en circulation, et de temps à autre, nous avions droit à un petit effet anamorphique, » se souvient Alice. « Et cette lumière devint notre référence absolue pour ce que l'on devait voir à l'extérieur des vitrines de la bodega. »

Au cours de la chanson « 96000 », tous les habitants du quartier se rassemblent dans et autour des deux immenses piscines extérieures du Highbridge Park de Washington Heights en attendant de connaître les numéros du ticket de loterie gagnant vendu à la bodega. Les réalisateurs voulaient inclure des prises de vue en plongée au-dessus des piscines, mais les ordonnances locales les ont empêchés de faire voler un drone. Ils ont également envisagé un système de caméra par câble, mais, note Brooks, « il n'y avait pas de bon endroit pour l'installer ».

Au lieu de cela, ils ont opté pour une grue, ce qui a nécessité une coordination minutieuse avec les ingénieurs du service des parcs de la ville de New York, étant donné que les piscines sont situées au-dessus d'un système de tunnels souterrains. « Nous avons fini par utiliser la plus grande grue que nous pouvions trouver et qui ne dépassait pas la limite de poids du pont », explique M. Brooks. « Nous avons tourné en sphérique [avec des objectifs Panaspeed] pour ces plans afin de pouvoir utiliser le capteur 2K complet de la DXL8. »

Toutes les scènes de danse du film ont nécessité une étroite collaboration entre l'équipe de chorégraphie de Scott et les caméramans. « La musique est si spécifique », dit Brooks, « alors parfois je demandais à un chorégraphe de se tenir près de l'opérateur et de les compter dans le plan, ce qui était incroyablement utile ».

La chanson « Champagne » s'est avérée être une démonstration particulière pour la danse entre la caméra et les acteurs, alors que Vanessa [Melissa Barrera] et Usnavi se déplacent dans l'appartement vide d'Abuela Claudia dans une longue prise ininterrompue. L'appartement « ne faisait qu'environ 15 pieds de large sur 40 pieds de long, avec une fenêtre de chaque côté », se souvient Brooks, « mais il ajoutait quelque chose à la texture du film ».

Schmidt a utilisé le steadicam pour la scène, travaillant avec un prime 40 mm de la série G sur la DXL2. La séquence met en scène un « constant déchirement et rapprochement entre Usnavi et Vanessa », explique Brooks. « Parfois, nous voulions que la caméra soit avec Vanessa, parfois avec Usnavi. Nous avons joué avec les reflets, nous avons fait un 360° complet, nous devions nous assurer qu'il n'y avait pas d'ombre de la caméra à partir des fenêtres, tout cela était du chant en direct, et Mark a réussi avec le Steadicam. »

Si l'on se penche sur les précédentes collaborations de Chu et Brooks, il semble en effet qu'elles aient toutes été construites en vue de préparer les réalisateurs pour In the Heights. Riant de ce souvenir, Brooks partage : « Dans cette interview que Jon a faite avec moi lorsque nous travaillions sur When the Kids Are Away, lorsqu'il a demandé : "Pourquoi as-tu voulu tourner ce film ?", la première chose que j'ai dite a été : "Ce n'est pas parce que tu as eu 40 minutes de retard à notre réunion !". Quand il m'a montré l'interview récemment, j'ai dit : "Oh, je crois que je t'ai toujours donné du fil à retordre". Alors peut-être que le confort a toujours été là, mais maintenant nous avons grandi ensemble ».

En raison de tout le temps qu'ils ont partagé au cours des 19 dernières années, « il y a des choses auxquelles nous pensons de la même manière », ajoute Brooks. « À la vingtaine, nous ne nous sommes pas vus pendant un certain temps, puis Jon m'a téléphoné pour me dire qu'il avait une idée pour une série web sur la danse. C'est complètement fou, il n'y a pas d'argent. Ça t'intéresse ? » J'ai répondu : "Bien sûr !" Et après LXD, il était clair que nous serions des collaborateurs créatifs pour un bon bout de temps. »

Photographie du groupe par Macall Polay. Toutes les images sont reproduites avec l'aimable autorisation de Warner Bros. Pictures.