Pleins feux sur la publicité avec le chef opérateur Kai Saul
« Ces derniers mois ont été de nouveau très chargés », déclare le chef opérateur Kai Saul, faisant référence au retour des productions après l'arrêt brutal de l'industrie du cinéma au début de l'année en réaction à la COVID-19. « Mon équipe et moi sommes incroyablement reconnaissants d'être de retour au travail. Chacun comprend combien il est important de rester en sécurité et en bonne santé pour pouvoir continuer à travailler. Nous nous faisons confiance pour retrouver cette sécurité sur et en dehors du plateau, et nous touchons du bois, car nous nous en sommes tous sortis. »
Panavision a récemment rencontré Saul pour parler de la publicité pour le smartphone Motorola « Razr », qu'il a tournée pour les co-réalisateurs Seth Epstein et Dane Del Deo au début de cette année, avant la pandémie. « C’était un travail passionnant et stimulant », s’enthousiasme Saul. « La vision était claire dès le départ, et j’ai bénéficié du soutien créatif total des deux réalisateurs pour le choix de la caméra et des optiques, et pour leur confiance dans l’exécution de leur vision. Ils m'ont donné une grande liberté de création, ce qui me permet de donner le meilleur de moi-même. J'avais également à mes côtés une équipe de choc, avec Nicolas "Nico" Martin comme 1er assistant caméra, et Alan Certeza comme 2e assistant caméra, et ils ont tous deux joué un rôle majeur dans le bon déroulement des opérations. »
Panavision : comment êtes-vous arrivé sur le tournage de la publicité « Razr » de Motorola ?
Kai Saul : C'est le réalisateur Seth Epstein qui m'a recruté. Seth est aussi le fondateur et directeur de création de la société de production Los York. C'est un excellent ami, et nous avons travaillé ensemble à de nombreuses reprises. Nous avons des goûts et des sensibilités artistiques similaires, et nous consacrons autant de temps que possible à la phase de préparation, ce qui nous permet de rationaliser le processus créatif et de progresser rapidement une fois sur le tournage. Une publicité ne laisse aucune place aux hésitations ou aux malentendus sur ce que souhaite le réalisateur, mais avec Seth, je sais qu'on sera toujours sur la même longueur d'onde.
Lorsqu'il m'a appelé pour me parler du projet, il m'a montré les éléments sur lesquels il travaillait déjà, et nous avons discuté de sa vision concernant l'intégration de scènes d'action, et je me suis tout de suite plongé là-dedans. Seth a également demandé au réalisateur de Los York, Dane Del Deo, de coréaliser la publicité, vu qu'il s'agissait d'un tournage à plusieurs équipes. Nous avions une équipe principale avec quatre ou cinq plateaux, une unité compacte, et une unité photographique - c'est à dire énormément d'activités pour une seule journée de tournage, alors avoir deux réalisateurs sur deux sites fut vraiment très utile.
Avec plusieurs unités actives au même moment, comment avez-vous su préserver une vision unifiée ?
Saul : Le rôle le moins glamour mais le plus important d'un DP est la gestion, et ce projet n'a pas fait exception à la règle. Je n'avais pas de DP pour la 2e unité, mais j'avais des opérateurs en plus, et je passais sans cesse d'un plateau à l'autre pour vérifier la lumière ou valider un nouveau cadrage. Nous étions sur une scène sonore à L.A., et tandis que nous mettions une chose en place sur le plateau principal, j'allais préparer l'unité compacte pour que l'opérateur puisse filmer la scène suivante sans moi, mais avec l'assistance du client et de l'agence. Et dès que cette opération-là était lancée, je retournais sur le plateau principal pour les dernières mises au point.
Combien de temps avez-vous eu pour vous préparer ?
Saul : Environ 10 jours, ce qui était formidable. Seth voulait une ambiance très haute couture, élégante, et moderne, avec un éclat de style montage pour la lumière qui viendrait souligner le raffinement du téléphone. Il avait préparé une palette d'ambiances à mon attention ; une scène aurait la bonne palette de couleurs, une autre aurait un déplacement de caméra inhabituel, et une autre une référence de lumière. Ça plus son traitement me donnait une base de travail solide.
Les éléments du téléphone en images de synthèse constituaient l'autre point de départ. Ces images ont été créées durant la phase préparatoire et nous ont donné les bases de référence pour la lumière des scènes d'action réelles. Nous tenions à avoir une continuité entre les scènes réelles et celles en images de synthèse afin que le spectateur reste bien dans la publicité en passant d'un plan à l'autre. Ma méthode consiste à examiner minutieusement les images de synthèse et de travailler « à reculons » pour déterminer comment filmer le sujet et le téléphone afin de donner l'impression que tout provient du même univers. Pour y parvenir, j'ai prélevé la palette de couleurs des images de synthèse pour les faire correspondre aussi précisément que possible avec nos sources DEL. Nous avions une teinte pêche-abricot coucher de soleil, et des violets-pourpres - c'était les deux principaux composants de notre palette de couleurs.
Tous les éléments en images de synthèse étaient-ils prêts au moment du tournage ?
Saul : Oui, pour la majeure partie, et cela nous fut très utile. Seth avait pu les assembler et les éditer, et nous savions exactement où nos plans allaient devoir être insérés et sur quel laps de temps. En visionnant le téléphone en images de synthèse qui tournoie dans les airs, je me suis dit, « D'accord, je veux un mouvement de caméra. » Ensuite, j'ai regardé le montage pour connaître la vitesse dont j'avais besoin ; de plus, avec le mouvement de caméra, nous allions pouvoir utiliser l'ensemble du capteur pour obtenir un effet de flou en temps réel, plutôt que de devoir l'ajouter en post. Savoir exactement où le plan allait devoir être inséré au montage a également été d'une grande aide pour la continuité de la composition et de la lumière.
Pourquoi avoir choisi la caméra Millennium DXL2 ?
Saul : L'une des toutes premières exigences de Seth et de l'agence était d'avoir de la résolution en plus afin de pouvoir resserrer ou recadrer si besoin. Seth avait beaucoup travaillé avec RED, et je connaissais très bien la Monstro, mais je préfère la science des couleurs et l’apparence de la DXL2. Elle est excellente par faible luminosité et possède une superbe LUT ; le rendu obtenu directement depuis la caméra est vraiment naturel et agréable. J'ai donc proposé la DXL2 et il a tout de suite adhéré. Nous avons filmé en 8K RAW, ce qui a donné à Seth toute la flexibilité dont il avait besoin pour la post-production.
En discutant des avantages de la DXL2, je songeais aussi déjà aux optiques. Le client voulait un rendu net à contraste élevé pour une ambiance chic et moderne. J’avais utilisé les Primo 70 à plusieurs reprises pour des publicités avant celle-ci - y compris avec le DXL2 pour un spot Samsung ['Galaxy S10', réalisé par Samy Mosher] - et d’après mon expérience, ils remplissaient parfaitement ce rôle. Mon objectif était de n'avoir ni distorsion ni aberration chromatique, et un champ aussi régulier que possible, mais avec cette douceur qui fait la réputation des Primos, le tout avec un grand format que je sentais possible. Un grand nombre de nos plateaux étaient de simples appartements, et nous ne tenions pas à ce que le moindre détail de chaque surface ou mur en arrière-plan soit visible. Pouvoir filmer en grand format m'a donné la possibilité de placer le sujet au premier plan beaucoup plus facilement, particulièrement avec des longueurs focales plus courtes, et ainsi faire en sorte de garder l'attention sur l'action pour permettre aux petites imperfections d'arrière-plan de disparaître.
Comment avez-vous abordé les mouvements de caméra ?
Saul : La quasi-totalité des plans ont été filmés avec une tête stabilisée Opertec Active, avec un amortisseur monté sur une dolly, et je dirigeais à distance depuis les roues. Nous devions aller vite, et Seth voulait avoir la possibilité de déplacer la caméra librement pour créer des mouvements de dolly sans perdre de temps à poser les rails. Il n'y a pas beaucoup de mouvements de caméra spectaculaires dans la publicité, mais nous avions quelques déplacements subtils qui devaient rester très fluides, ainsi que quelques mouvements du troisième axe, et l'Opertec était tout simplement parfaite pour ce job.
Comment les 1600 ISO natifs de la DXL2 ont-ils affecté votre éclairage ?
Saul : 1600 est un niveau ISO très agréable avec lequel travailler. Je parviens à garder mes niveaux assez bas, ce qui me permet de faire beaucoup de choses avec des unités plus compactes, et au final économiser du temps et de l'argent. Et grâce à l'ISO 1600 natif de la DXL, nous avons obtenu des images d'une grande netteté, et le rendu poli et raffiné que souhaitait le client. Et même lorsque j'ai voulu abaisser mon niveau encore davantage pour créer une ambiance et un contraste plus marqué, j'ai pu le faire sans ajouter du bruit ou des distorsions. Tout le monde a été très satisfait du résultat.
Un niveau de 1600 est également très agréable lorsque j'utilise un objectif plus long et qu'il me manque un peu de profondeur - j'ai la possibilité d'y remédier. Je peux également pousser sur le capteur si j'en ai besoin. Avec d'autres caméras, je pousse rarement au-delà de 1600, mais avec la DXL, je peux facilement augmenter d'un tiers, voire d'un demi gain sans craindre que les images ne soient pas raccord avec celles au format ISO natif.
Comment avez-vous obtenu le gros plan de la femme vers la fin de la publicité, dans la scène où l'on voit le visage de l'homme réfléchi dans la vitre devant elle ?
Saul : Cette scène a été tournée vers la fin de la journée, vraiment à toute vitesse ! [Rires.] C'était ma planche préférée, et c'est toujours celle pour laquelle je semble avoir le moins de temps. Mais en fait, elle fut assez simple à tourner. Nous avons placé un morceau de plexiglas sur un support en C, et nous avons positionné l'actrice du côté opposé à la caméra. J'ai d'abord réglé la lumière sur elle, vu qu'elle était le sujet principal de la scène ; ensuite, nous avons dirigé notre source aux teintes pêche-abricot depuis la caméra de gauche, et créé la lumière bleue-violette à partir d'un tube Quasar positionné en hauteur pour ajouter du contraste et éclairer les yeux. Une fois l'actrice en place, nous avons demandé à notre acteur de se tenir à côté de la caméra, et nous avons positionné un fond noir uni derrière lui pour contrôler les reflets et le faire ressortir autant que possible. J'ai laissé la lumière bleue du regard de la femme jouer sur le visage de l'homme pour créer cette dualité entre le chaud et le froid, l'ombre et la lumière, l'aube et le crépuscule - une sorte d'effet yin et yang. Nous voulions capturer l'essence même de la publicité dans cette dernière scène, celle qui réunit les deux personnages.
L'idée était de montrer ces deux personnes, chacune dans son monde, et de créer le parallèle avec les deux moitiés du téléphone, vu qu'il s'agit d'un modèle à rabat moderne. C'est cette approche qui nous a donné l'idée des deux palettes de couleurs, et ce fut notre fil conducteur artistique tout au long du tournage. Le client et l'agence tenaient également à ce que la publicité s'adresse aux acquisiteurs précoces, aux utilisateurs qui aiment essayer de nouvelles technologies, qui sont modernes et qui vivent à cent à l'heure. Et pour cela, nous voulions garder cette ambiguïté sur ce que faisaient nos acteurs, s'ils partaient ou revenaient, si c'était le matin ou le soir. Nous n'indiquons jamais précisément l'heure à laquelle se déroule la scène, mais c'est un de ces moments suspendus, entre chien et loup. Pouvoir recréer ce thème dans un seul plan et réunir nos deux personnages à la fin fut vraiment très satisfaisant.
Images gracieusement offertes par Kai Saul.