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Famille élargie

Le chef opérateur Yasu Tanida évoque son passage derrière la caméra pour les six saisons de This Is Us...

Lancée le 20 septembre 2016 sur NBC, la série This Is Us présente aux téléspectateurs l'histoire transgénérationnelle de la famille Pearson. Au fil des six saisons et d'une intrigue s'étendant sur autant de décennies, Jack et Rebecca Pearson (respectivement interprétés par Milo Ventimiglia et Mandy Moore) et leurs enfants Kate, Kevin et Randall (interprétés à l'âge adulte par Chrissy Metz, Justin Hartley et Sterling K. Brown) ont séduit les téléspectateurs et sont entrés dans leur vie comme s'ils étaient une sorte d'extension de leur propre famille.

Créée par Dan Fogelman, la série a connu une fin riche en émotions le 24 mai, concluant un chapitre important dans l'histoire de la télévision de réseau et dans la vie et la carrière de toutes les personnes impliquées dans la création de la série. Le chef opérateur Yasu Tanida a rejoint This Is Us dès la 1ère saison, après que celle-ci ait été commandée après la production de l'épisode pilote tourné par Brett Pawlak. Tandis que Tanida se préparait pour la saison 1, il a travaillé en étroite avec Panavision afin de sélectionner son ensemble d'optiques. This Is Us est devenue la première série télévisée à utiliser des optiques personnalisées, dans ce cas un ensemble de Primos modifiés.

Panavision s'est entretenu avec Tanida juste avant que le dernier épisode ne soit diffusé (et juste au moment où le chef opérateur fignolait la préparation d'un nouveau pilote) afin de revenir sur son travail de ces six dernières années.

De gauche à droite : Yasu Tanida, chef opérateur, Ken Olin, réalisateur-producteur et Dan Fogelman, créateur de la série.

Panavision : Comment avez-vous été amené à participer à  This Is Us

Yasu Tanida : J'ai tourné le pilote de Pitch réalisée par Paris Barclay. Dan Fogelman a créé la série avec le coscénariste Rick Singer. Celle-ci mettait en scène la première joueuse de la Ligue majeure de baseball et suivait sa première semaine passée à jouer pour les Padres de San Diego. J'ai vraiment adoré la filmer et c'est ce qui m'a permis de rencontrer Dan. Nous nous ressemblons car aimons le baseball et sommes plutôt calmes, donc nos caractères se rejoignent.

Peu après ça, Dan m'a demandé si je souhaitais faire une autre série. En automne 2016, il avait deux pilotes sélectionnés pour la série, et si j'étais intéressé, je pouvais postuler pour rejoindre l'équipe. J'ai vu le pilote de This Is Us et j'ai été vraiment scotché par son côté accrocheur et créatif. Je me suis ensuite entretenu avec John Requa et Glenn Ficarra qui ont réalisé le pilote et ai eu la chance d'être retenu.

Quand vous avez commencé à travailler sur la saison 1, quelle a été votre approche concernant les bases établies par l'épisode pilote tourné par Brett Pawlak ? Quels ont été les éléments que vous avez souhaité conserver et quelles ont étés les possibilités d'évolution ou d'extension du langage visuel ?

Tanida : De mon point de vue en tant que chef opérateur, This Is Us a été une série idéale à rejoindre après le pilote car la principale révélation reposait sur le fait que l'histoire se déroulait à deux époques différentes, de nos jours et dans les années 1970. En gros, l'épisode 2 a été la présentation de ces différentes périodes de temps et un aperçu de ce à quoi ces deux mondes pourraient ressembler.  

Tout en respectant l'approche de Brett, je me suis contenté de ne pas filmer différemment les périodes de temps. Jusqu'à maintenant, même lorsqu'on fait un bond dans le futur (ou pour l'épisode 617 lorsqu'on entre dans l'état onirique de Rebecca), nous appliquons le même raisonnement. Cela facilite le montage en permettant de passer avec fluidité d'une époque à l'autre. Nous avons également conservé le style de tournage consistant à garantir des époques compactes et cohérentes en termes de couverture. 

Quand nous avons commencé l'épisode 2, la seule modification a été de choisir différents objectifs. Dès le départ, je savais que je voulais créer une image qui ne soit pas numérique. Mandy Moore allait devoir être vieillie en employant du maquillage à partir de l'épisode 2, j'ai fait part de cette idée à Guy McVicker [maintenant directeur du marketing technique chez Panavision Woodland Hills] et nous avons fini par personnaliser des Primos.

Qu'est-ce qui vous a incité à choisir les Primos comme base de votre ensemble d'objectifs ?

Tanida : Tout au long de ma carrière, si je me suis principalement servi de Panavision Primos, c'est pour le rendu des visages offert par ces objectifs, rendu qui n'est d'ailleurs pas souvent évoqué. Les objectifs Primos ont quelque chose de spécial dans leur manière de capturer les visages humains et de transposer ce que je vois avec mes yeux sur l'écran. En fait, ils prennent ce que je vois de mes yeux et l'améliore. Les objectifs ont la capacité de faire ressortir la forme ovale d'un visage humain et de lui donner de la profondeur sur le plan bidimensionnel. Il y a des débats concernant les effets de halo, les changements de plans de mise au point et les autres caractéristiques de ces objectifs, mais le fait est que le rendu des visages humains offert par les objectifs Primos est le meilleur. 

Qu'est-ce qui vous a incité à modifier les Primos, et comment avez-vous abouti aux modifications spécifiques que vous avez fini par utiliser ?

Tanida : Je souhaitais un nouveau look afin d'adoucir les images numériques, et en parallèle, Panavision développait un système pour personnaliser les objectifs et garantir un aspect cohérent d'un objectif à l'autre. Nous avons décidé de faire un test de maquillage avec des Primos modifiés. Guy m'a présenté plusieurs distances focales avec trois niveaux de modification : moyen, important et extrême. Je me souviens d'avoir placé l'objectif extrême de 50 mm et d'avoir trouvé le résultat magique quand j'ai vu le visage de Mandy Moore sur le moniteur. Il a atténué les plis du maquillage sans pour autant gâcher le centre de l'image, modifié les illuminations et les ombres de manière extrême en faisant scintiller les illuminations et en rehaussant les ombres.

Nous avons fini par tourner un grand nombre de tests sur plusieurs semaines avec tous les niveaux de modification, en les testant également à différents ISO élevés. J'ai alors transmis les tests de la caméra au coloriste Tom Forletta de Technicolor Hollywood, et lui ai demandé de prendre les trois niveaux de modification, puis de ramener l'image à un niveau normal, comme si la modification n'avait pas été effectuée. Le moyen et même le lourd ont pu être retirés avec des outils modernes de correction, mais quand Tom a essayé de faire disparaître le look extrême en ISO 1280, quelque chose est resté dans l'image. Il y avait encore une lueur douce dans les illuminations, le ton de peau des acteurs était adouci et les ombres présentaient une noirceur trouble style crayon noir. Après de nouveaux tests et réglages, un ensemble d'objectifs extrêmes a été fabriqué pour nous. En combinant celui-ci avec un ISO élevé et une LUT fortement appliquée et contrastée, c'est ce que nous avons principalement utilisé au cours des six dernières années pour créer le look de notre série.

Pouvez-vous nous parler un peu plus des caractéristiques optiques que vous avez pu observer sur les Primos modifiés ?

Tanida : Chaque fois qu'un tungstène 20K, un 18K HMI ou même le soleil éblouit l'objectif, les illuminations explosent de manière folle et ont un certain éclat. J'appelle cela un « flare laid et magnifique ». Il ne s'agit pas d'un flare optique détaillé, ni d'un flare coloré en forme d'arc-en-ciel. Il est juste halé, d'une manière « laide et magnifique ».

Puis les moyens, pour lesquels nous conservons la plupart des tons de la peau, présentent une certaine douceur. La modification extrême est plus clémente avec le maquillage de vieillissement et efface les imperfections. Les murs, les portes et les lignes du cadre s'adoucissent également.

Et les ombres finissent par devenir très floues, avec une texture qui ne peut être décrite que comme si un crayon noir avait été repassé encore et encore. Par ailleurs, avec l'ISO 1280 et la LUT, il y a un bruit numérique qui prend vie dans les ombres et qui, à mon avis, va je l'espère de pair avec l'aspect romantique et nostalgique de notre série !

Parmi votre ensemble d'objectifs, est-ce qu'il y a des longueurs focales particulières qui se sont révélées être vos préférées au fil des années ?

Tanida : Les principaux objectifs étaient généralement ceux de 35, 40, 50, 65 et 75 mm. Je dirais que 95 pour cent de la série a été tourné avec ces derniers. Lorsque nous souhaitons faire un travelling ultra rapproché, ou lorsque nous voulons un flare avec de la couleur ou des traces, nous aimons utiliser le Macro de poche 50 mm.

Est-ce que vous vous rappelez du projet qui vous a pour la première fois amené à utiliser du matériel Panavision ? 

Tanida : Je ne peux pas me rappeler du premier projet, mais je me rappelle être entré dans les bureaux de Dan Donovan et de Cathy Pierce pour découvrir le matériel de Panavision Hollywood. Je pense que je savais qu'Akira Kurosawa avait tourné ses derniers films avec Panavision, et je voulais voir de mes propres yeux. Il existe aussi une série de films japonais très appréciés de ce personnage qui est en gros le Charlie Chaplin du Japon : Tora-san. Ses films étaient toujours tournés en Panavision anamorphique grand écran, donc c'est resté gravé dans ma mémoire.

Je me rappelle que Mike Carter était assistant et avait un bureau à l'extérieur de celui de Cathy, et maintenant il m'aide avec mes projets actuels. Je me souviens que Tak Miyagishima a aidé un autre nippo-américain et qu'il m'a montré les objectifs qu'il fabriquait chez Panavision Woodland Hills il y a de cela de très nombreuses années.

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles je suis toujours revenu à Panavision pendant les 20 dernières années. Je percevais la sensation cinématographique offerte par Panavision, et celle-ci ne m'a pas déçu. Comme je l'ai mentionné, la qualité des objectifs est impeccable. Le service à la clientèle et leur connaissance du matériel sont toujours utiles. Quand nous avons besoin d'accessoiriser une troisième, une quatrième ou une cinquième caméra, c'est la première société à laquelle nous pensons. Et tout comme This Is Us, Panavision est devenu un membre de ma famille du cinéma et un élément important de ma carrière de chef opérateur.  

Avez-vous trouvé de l'inspiration dans des références visuelles particulières pendant le tournage de This Is Us ?

Tanida : Pendant les quatre premières saisons, j'ai inconsciemment filmé ce que je pensais être bon pour notre série. Puis en 2020, pendant les six mois d'arrêt durant la pandémie, j'ai eu le temps de penser à ce qui définissait l'esthétique de notre série. Je me suis rendu compte que les films des frères Dardenne ont eu une grosse influence au début de ma carrière, et je me sens en général attiré par ce style de réalisation. En remontant encore plus dans le temps, j'ai fait en 2007 un film intitulé August Evening. Celui-ci a remporté un Independent Spirit Award, et le réalisateur et moi nous étions inspirés des Dardenne. Je pense que ça a perduré pendant toutes ces années jusqu'à This Is Us

Le style des Dardenne se caractérise en partie par une prise de vue entièrement manuelle mais non agressive, qui attire l'attention ; un éclairage naturel, même si je dirais que le nôtre est un peu plus stylisé, avec des éclairages forts par moments ; et, plus important encore, l'idée de donner le focus de chaque plan aux acteurs. Il existe de nombreuses techniques inhérentes à la réalisation : mouvements de dolly, grues, zooms, cadrages, utilisation de la couleur, etc. Le problème de la technique, c'est qu'elle peut parfois attirer l'attention sur elle, et quand on attire l'attention sur la technique, celle-ci peut finir par avoir le plus de poids à l'écran. Le téléspectateur dispose d'une quantité finie d'attention. Si la technique capte cette attention, il accorde moins d'importance aux personnages, à leur situation, aux similarités entre un personnage et eux, etc. En gros, je veux que cette attention soit portée sur nos acteurs. Je pense que les frères Dardenne font cela très bien.

Quels ont été vos processus de travail avec les caméramans pour définir et affiner le subtil travail de caméra manuel de la série ?

Tanida : Je pense qu'il est très difficile d'être caméraman pour This Is Us, et ceux pour qui l'expérience a été positive ont un tempérament similaire. La principale qualité qu'ils partagent tous est le fait de tenir fermement la caméra, qu'il s'agisse d'une 35 mm, d'une 65 mm ou d'une 100 mm. Nous ne voulons jamais détourner l'attention de la performance. Nous avons travaillé là-dessus dès le premier jour. Lorsqu'ils peuvent maintenir le cadre fermement, nous commençons à introduire le mouvement. À terme, ils doivent être en mesure de marcher à reculons avec un objectif de 50 mm comme si la caméra faisait partie de leur corps. Nous parlons du fait de contrôler la respiration, d'utiliser leur corps pour contrôler la caméra sur leurs épaules, et de se concentrer sur le maintien de l'horizon à chaque prise de vue.

La deuxième qualité est leur ressenti pour le panoramique ou l'inclinaison : le degré de lenteur ou de rapidité de ce mouvement et, surtout, quand réaliser cette action. Après une prise, je vais les voir et je leur parle des choses que nous aurions pu faire différemment. La majeure partie de cette conversation se rapporte à l'histoire. Nous n'utilisons pas de casques car je veux qu'ils aient leur mot à dire pour décider de ce qu'il faut faire. Je veux qu'ils évoluent selon leurs propres termes en tant que protagonistes de nos histoires. 

Le troisième point implique de faire coïncider les cadres avec la couverture. Sauf si nous voulons effectuer un gros plan plus serré sur une personne, nous essayons de faire coïncider la taille des plans de nos couvertures. L'idée derrière la concordance des cadres est d'être objectif avec chaque personnage en filmant de manière uniforme, à hauteur des yeux de tous. Pour moi, cette idée permet à tous les personnages d'être sur un même pied d'égalité. 

Je rappelle aux cadreurs qu'ils doivent rester attentifs et concentrés sur ces scènes simples entre deux personnages, rester vigilants et suivre le dialogue et l'histoire. S'ils sont capables de rester attentifs et vigilants pendant ces scènes anodines, lorsque les scènes vraiment chargées en émotions se présentent et qu'ils doivent décider si effectuer ou non un traveling, la réponse viendra à eux naturellement. Et c'est ce qui se passe.

J'ai eu la chance de travailler avec des cadreurs extraordinaires, et dès que nous avons été sur la même longueur d'onde, je n'ai presque rien eu à leur dire. James Takata, James Goldman, Coy Aune, Daniel Cotroneo, Beau Chaput et Colby Oliver ont tous été membres de la famille des cadreurs de This Is Us

De gauche à droite : Michael Roy, chef électricienRick Phelps, dolly grip de la caméra A , Wade Ferrari, 2e assistant opérateur de la caméra A, Tanida, James Takata, opérateur de caméra A, Sean O'Shea, 1e assistant opérateur de la caméra A et Steve Beers, producteur délégué.

Quels ont été les autres membres clés de l'équipe de tournage pendant ces six saisons ? 

Tanida : Je n'aurais pas pu faire cette série sans Sean O'Shea, notre 1er assistant opérateur de la caméra A pendant ces six années. Richie Floyd, notre 1er assistant opérateur de la caméra B, et Joe Solari, notre 6er assistant opérateur de la saison 1 sont tous les deux formidables pour faire la mise au point. Sans oublier Brian Wells, Jeff Stewart, Wade Ferrari, Hunter Jensen et Tim Sheridan, nos 2èmes assistants opérateurs de longue date, ainsi que nos deuxièmes assistants opérateurs et spécialistes numériques, Gobe Hirata, Mike « Mad Dog » Gentile, Emily Tapanes, Maeve Gilleran, Jimmy Grob et Adam Garcia. 

De gauche à droite : Reasha Honaker, doublure image, Maeve Gilleran, technicienne numérique, Joe Solari, 1er assistant opérateur de la caméra B, Daniel Cotroneo, opérateur de la caméra B et Tim Sheridan, 2e assistant opérateur de la caméra B.

Vous avez passé six ans à tourner 104 épisodes d'une série qui aura laissé une trace indélébile dans la conscience populaire. Qu'est-ce que cela signifie pour vous sur le plan personnel d'avoir fait partie de This Is Us et maintenant que la série se termine ? 

Tanida: C'est un sentiment doux-amer de conclure un projet qui a fait partie de votre vie pendant six ans. À la télévision, vous ne savez que rarement si vous allez revenir pour une autre saison, mais pendant la saison 3, nous avons été reconduits pour les trois dernières saisons, donc nous avons eu la chance de savoir quand ce serait la fin.

Je me sens vraiment chanceux de faire partie de ce programme et d'avoir travaillé avec une équipe aussi formidable, tant devant que derrière la caméra. Il y a eu énormément de rires et de camaraderie sur le plateau tous les jours au long de ces six années. Notre équipe s'entendait tellement bien, je me rappellerai d'eux pour le reste de ma vie. Sean O'Shea, notre 1er assistant opérateur de la caméra A a dit que c'est le meilleur programme sur lequel il ait travaillé. Je pense que nous avons tiré le meilleur de chaque prise de vue, que nous n'avons pris aucun moment pour argent comptant et que nous avons fait une série qui, comme vous l'avez dit, a, je l'espère, « laissé une trace indélébile dans la conscience populaire ».

Photos et images fournies par Yasu Tanida et NBC.