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Loin de chez soi

Le scénariste et réalisateur Ekwa Msangi et le chef opérateur Bruce Francis Cole décrivent en détail le langage visuel de Farewell Amor.

Le premier long métrage de la scénariste et réalisatrice Ekwa Msangi, Farewell Amor, a été présenté en avant-première au Festival du film de Sundance en janvier 2020 et est sorti en décembre sur les écrans d'IFC Films. Msangi décrit les mois qui se sont écoulés comme « des montagnes russes », marqués par une pandémie mondiale, des troubles sociaux et des bouleversements politiques.

« L'année a été tellement difficile », dit-elle. « Pourtant, elle a aussi été vraiment porteuse d'espoir en ce qui concerne le changement de gouvernement et le mouvement Black Lives Matter et les faits que les gens ne sont pas prêts à tolérer plus longtemps ». Cela comprend le fait que nos voix ne soient pas entendues comme elles devraient l'être. Même pour Sundance, j'ai eu l'impression que nous entrions dans une nouvelle ère, où les gens sont prêts à nous prendre plus au sérieux que par le passé. »

Farewell Amor débute à l'aéroport de JFK Airport, quand Walter (Ntare Guma Mbaho Mwine) retrouve sin épouse, Esther (Zainab Jah), et sa fille, Sylvia (Jayme Lawson), pour la première fois depuis son arrivée à New York, 17 année plus tôt, en arrivant de l'Angola. Walter est venu aux États-Unis en étant déterminé à offrir un nouveau départ à sa famille après la fin de la guerre civile angolaise qui a duré des décennies, mais après tant de temps séparés, ils pourraient aussi bien se rencontrer pour la première fois.

En coulisses, Msangi a collaboré avec le producteur Huriyyah Muhammad et le chef opérateur Bruce Francis Cole. Les réalisateurs se sont procuré le matériel caméra-objectif auprès de Panavision New York grâce à la subvention du programme pour les nouveaux réalisateurs de Panavision. « J'ai utilisé cette subvention à plusieurs reprises, toujours pour des primo-réalisateurs de longs métrages », explique Cole. « L'un des avantages de Panavision est de permettre aux cinéastes indépendants d'avoir accès à tous les outils utilisés pour les grands projets en studio. Je suis toujours reconnaissant d'avoir l'occasion de travailler avec Panavision ».

Panavision s'est récemment entretenu avec Msangi et Cole via Zoom afin de discuter du langage visuel créé pour le film. « Je suis très heureux de ce que nous avons pu faire avec le film, et Bruce est vraiment doué dans ce qu'il fait », confie Msangi. « C'est génial de le voir recevoir autant d'amour. »

La scénariste et réalisatrice Ekwa Msangi et le chef opérateur Bruce Francis Cole.

Panavision : Quand avez-vous commencé à discuter de Farewell Amor ?

Ekwa Msangi : La préproduction a commencé un lundi, et nous nous sommes rencontrés le jeudi précédent. Nous devions initialement travailler avec un autre directeur de la photographie qui a dû se désister à la dernière minute, mais il nous a dit : « Ne vous inquiétez pas, je vais vous présenter quelqu'un de bien ». Je crois que c'était le mardi, Bruce a lu le scénario le mercredi, et nous avons parlé pour la première fois le jeudi. Je ne sais pas si je te l'ai dit, Bruce, mais une de tes références est une bonne amie à moi. Nous étions allés à l'école ensemble, et quand je l'ai appelée, elle m'a dit : « Raccroche le téléphone et engage-le sur-le-champ, c'est la meilleure chose que tu feras dans ta vie ! ». Alors je me suis dit « Ok, je suppose que je vais le faire ! ».

Bruce Francis Cole : Je suis très reconnaissant d'avoir été recommandé par Jackie Stone - je suis sûr que c'était elle !

Msangi : Comment le sais-tu ? [Rires. Alors nous nous sommes donné une chance - parce que Bruce ne nous connaissait pas non plus. Nous avons commencé la préproduction et nous avons passé une semaine entière, du matin au soir, à élaborer le film dans son ensemble et à discuter de ce que j'ai vu, de ce que j'ai ressenti et de ce qui était important pour moi dans cette histoire.

Cole : Comme Ekwa l'a dit, j'ai passé un entretien le jeudi, j'ai appris la nouvelle le vendredi, j'étais dans un avion le dimanche, je suis arrivé au bureau de production le lundi matin, et nous avions deux semaines devant nous avant que le tournage du film démarre. [Rires.] Nous avons beaucoup d'amis en commun, et nous étions tous deux familiers avec l'esthétique du cinéma indépendant et étranger, donc en termes de langage et de codes, ce n'était pas difficile.

Y a-t-il des films en particulier qui ont inspiré votre approche visuelle ?

Msangi : Nous avons beaucoup regardé le travail d'Andrew Dosunmu, comme Mother of George, car c'est un cinéaste africain qui raconte des histoires sur les Africains à New York. Et Bruce a un vocabulaire beaucoup plus vaste en ce qui concerne les œuvres d'art, les chefs opérateurs et les films. Nous avons fini par parler de Wong Kar-Wai et de qui d'autre ?

Cole : Tu avais une référence vraiment cool, le film sur la danse. -

Msangi : La Tropical, un film sur la danse cubaine. C'est vrai.

Cole : Ekwa est originaire du continent africain et elle est très familière avec le cinéma africain, donc elle avait beaucoup de références dont nous nous sommes inspirés en termes de sentiment, de rythme, de culture, puis ce que nos personnages laissaient derrière eux et l'héritage qu'ils essayaient de ramener ici en Amérique. La scène de la danse du semba a été un des éléments majeurs du film en ce qui concerne la façon dont les personnages se déplacent dans l'espace et ensemble. Nous voulions imiter ce rythme à travers les différentes parties du film.

Dans quelques scènes du film, - et je ne pense pas qu'Ekwa le sache - j'ai placé des objets très particuliers à certains endroits du cadre pour rappeler le film de Ming-liang Tsai Et là-bas, quelle heure est-il ? Beaucoup de ses films sont dramatiques, mais ce n'est pas le montage qui donne cet effet. Il y a beaucoup d'images fixes avec des personnages qui bougent dans le cadre. Nous nous sommes inspirés de cela, puis de cinéastes comme Andrea Arnold et Lynne Ramsay et de nombreux films contemporains sur le passage à l'âge adulte.

Qu'est-ce qui vous a amené à opter pour le format ultra large 2.39:1 ?

Cole : Nous voulions mettre en valeur la mise en scène de l'arrière-plan parce que l'histoire ne concerne pas seulement les personnages. Il s'agit en fait de personnages dans un environnement : dans un petit appartement, au cœur de la ville de New York. Nous voulions que le décor en arrière-plan fasse toujours partie de la vie des personnages. Je pense que le fait de savoir que l'arrière-plan est censé être un quatrième personnage dans le film était instinctif.

Le film est structuré en une série de chapitres, un pour chacun des trois personnages principaux, et chacun possède son propre langage visuel en ce qui concerne le travail de caméra. Quelles techniques avez-vous avez utilisées pour distinguer une section de la suivante ?

Cole : Nous nous sommes appuyés sur la caméra et le cadrage car tout autre choix aurait nécessité un plus gros budget, que nous n'avions pas, ou plus de contrôle, que nous n'avions pas. Pour le premier chapitre, l'histoire de Walter, nous avons utilisé des focales plus larges - les Primos Close Focus 17.5, 21 et 27 mm - et nous avons filmé à distance avec la caméra sur un trépied ou un travelling pour donner l'impression que les personnages étaient détachés émotionnellement. Quand nous avions besoin d'un objectif long, nous utilisions le Primo 40 mm.

Le deuxième chapitre, l'histoire de Sylvia, a été tourné principalement avec une caméra portée et au plus près des acteurs. Nous voulions que la caméra soit immergée dans l'environnement et l'intimité des personnages. Nous avons utilisé les Primos 27 mm et 35 mm Close Focus ainsi que les Primos 65 mm et 85 mm. J'aime utiliser la longueur focale pour contrôler la profondeur de champ. Si je veux avoir moins de profondeur, généralement j'augmente la distance focale, et vice versa. Nous avons utilisé les Primos sphériques pour les chapitres un et deux pour qu'ils ait la même texture, car Sylvia et Walter créent une connexion. Ces chapitres sont un peu plus clairs, nets, vibrants et contrastés que le chapitre d'Esther, qui a une palette plus douce et plus rêveuse.

Nous voulions que le troisième chapitre soit très subjectif et romancé. Nous avons décidé de tourner avec des Panchros Cooke plus longs pour essayer de garder les images détachées les unes des autres, puis nous avons fait un travail de montage et de gros plan. Pour Esther, nous avions beaucoup de cadres qui étaient des micro-histoires isolées au sein de la macro, de sorte que nous pouvions juxtaposer les images et créer une idée différente de la grande image. Plus on avance dans le chapitre, plus les distances focales s'allongent et plus les cadres sont impressionnistes. Nous avons également ajouté un filtre pour représenter le fantasme qu'Esther vivait dans sa tête. Enfin, lorsque toutes les histoires se rejoignent, nous combinons tous les objectifs et tous les langages visuels, et nous éliminons le filtrage pour offrir une présentation plus brute et honnête de l'histoire.

Une grande partie de la nature des relations entre les personnages s'exprime par le cadrage, en particulier par l'utilisation de l'espace négatif et le cadrage reserré sur les acteurs. Tout cela a-t-il été déterminé pendant la préproduction, ou était-ce plutôt instinctif pendant le tournage ?

Cole : Presque tout a été pensé à l'avance. Nous avons dû déterminer exactement ce que nous allions dire et comment cela allait s'intégrer dans le langage particulier de chaque chapitre. Nous avons poussé cette esthétique, et nous avons veillé à la conserver, car il est très facile, lorsqu'on est stressé, de l'oublier et de se tourner vers des concepts et des idées basiques au lieu d'essayer de s'appuyer sur le langage subjectif que l'on veut utiliser. Nous savions donc exactement ce que nous faisions pour chaque scène.

Msangi : Nous devions le faire. Nous disposions d'un budget très limité et d'un temps très restreint sur nos lieux de tournage. Qui étaient en outre très petits ! [Rires.] Si cet appartement vous semble petit, c'est parce que c'est bien le cas. Je me souviens que Bruce s'écriait, « Oh mon dieu, mais comment pouvons-nous rendre ça intéressant et ne pas répéter la même chose continuellement ? » Parce-que, dans les faits, nous n'avions que deux endroits depuis lesquels filmer.

Cole : Au début du couloir et à la fin du couloir ! [Rires.]

Msangi : Exactement ! Et je suis épatée que nous ayons réussi à rendre les choses intéressantes étant donné à quel point nous étions limités. Nous n'avions pas de scénarimage, mais nous avions une liste de scènes pour tout, et j'avais dessiné des petits diagrammes sur le scénario pour indiquer à quel endroit la caméra devrait se situer. Bien sûr, nous avons eu des surprises, et par moment, on avançait un peu à l'aveugle, mais toujours dans le cadre de ce que nous avions imaginé, parce que nous en avions tellement parlé que nous savions exactement ce que nous voulions voir et ce que nous voulions créer.

Cole : Nous voulions quelque chose de très délibéré. L'information devait se révéler à travers la scène, ce qui voulait dire que nous avions besoin que la caméra se trouve à un endroit bien spécifique. Notre référence était systématiquement une émotion, généralement définie par un adjectif, que nous pouvions utiliser comme point d'ancrage. Ensuite, si une partie de notre plan échouait, nous pouvions nous recentrer sur notre adjectif ; si nous avions une décision de dernière minute à prendre, nous avions ce fil rouge à suivre pour atteindre notre objectif.

Dans le chapitre sur Sylvia, il y a une scène dans la cuisine de l'appartement où Esther prépare à manger et Sylvia utilise l'ordinateur. La scène commence avec un champ-contrechamp qui garde chaque personnage dans son cadre, mais à un moment donné, la caméra passe en panoramique pour inclure les deux femmes dans la scène.

Cole : Nous avons utilisé ce mouvement panoramique à deux reprises en particulier, une première fois dans la cuisine, et la seconde à l'arrêt de bus lorsque Sylvia discute avec DJ [Marcus Scribner]. C'est une technique subtile qui souligne le lien entre les personnages. C'est un rythme entre eux et la façon dont ils communiquent, ou pas, l'un avec l'autre.

Msangi : C'est un peu comme si la caméra dansait de l'un à l'autre.

Cole : Vous placez le spectateur, pour un bref instant, face à sa propre perspective, pour lui permettre de choisir avec qui aller, plutôt que de tout placer du point de vue des personnages. Vous utilisez cette perspective parce qu'à un moment donné, vous décidez de ne pas montrer une chose et d'en mettre une autre en avant.

La lumière bleue est utilisée en lumière principale ou secondaire dans l'appartement, ce qui donne corps aux acteurs dans l'espace et ajoute une dimension supplémentaire à un lieu exigu. Comment avez-vous conceptualisé l'utilisation de cette couleur pour la lumière ?

Cole : Ouh là.

Msangi : [Rires.] Nous nous sommes battus pour cette lumière bleue !

Cole : Ce fut mon hommage secret à Et là-bas, quelle heure est-il ? Dans ce film, il y avait un aquarium dans le minuscule appartement, et je n'ai jamais oublié la façon dont cette unique source de lumière conférait une telle présence et redéfinissait l'espace. Lors de la préparation, je me demandais, « Comment vais-je arriver à créer quelque chose de différent dans cet espace, quelque chose qui fasse vrai – une autre couleur qui peut inspirer un autre état d’esprit ? » Et ensuite, j’ai dit, « Hé, est-ce que je peux avoir un aquarium ? » Et on m’a répondu, « Pas sûr qu’il aurait un poisson chez lui. » Puis quelqu’un a ajouté, « Je ne crois pas que la PETA va nous autoriser à avoir un poisson. » Alors j’ai dit, « Dans ce cas, est-ce qu’on peut juste avoir l’aquarium? » Et forcément, ils ont demandé, « Mais pourquoi est-ce qu’il aurait un aquarium sans poisson ? » Et ainsi de suite. En fin de compte, j’ai eu ce que je voulais.

Msangi : Je me souviens qu’à un moment, la production m’a dit, « Est-ce qu’on a vraiment besoin de cet aquarium ? », et je leur ai répondu, « D’accord, je vais lui demander. » J’ai donc posé la question à Bruce, « Est-ce qu’on a besoin de cet aquarium ? », et catégoriquement il m’a répondu, « Oui, on a besoin de l’aquarium ! » Mais nous avions vu des extraits de ce film ensemble, alors j’avais ma petite idée de ce que tu cherchais à faire.

Cole : Je tenais à ajouter du contraste à ce qui autrement aurait été une palette de couleurs chaudes grâce aux lampes à la vapeur de sodium filtrant par la fenêtre. Tous ceux qui habitent à New York savent bien que vous allez avoir cette lumière qui filtre par votre fenêtre la nuit. Il n'y a pas de clair de lune dans les rues de New York. Je voulais donc ajouter du contraste, tout particulièrement au vu de la dynamique de ce qui se passait dans l'appartement. À certains moments dans le film, vous pouvez vraiment vous en rendre compte, et chaque fois que vous avez l'un de nos deux angles - au début du couloir ou dans la cuisine en regardant vers la porte - j'ai essayé d'utiliser cette lumière pour diviser l'espace lorsque les personnages s'y déplacent. Cette couleur bleue a vraiment bien joué son rôle.

Qu'avez-vous utilisé pour compléter la lumière de l'aquarium ?

Cole : En raison du budget, nous avons juste commandé des réglettes LED RVB ajustables sur Amazon, puis nous avons rebranché un vieil appareil du département des arts avec nos réglettes LED. J'ai utilisé le réglage bleu-cyan pour imiter la vapeur de mercure. Je voulais quelque chose qui fasse naturel, donc l'idée était que l'aquarium utilisait une lampe à vapeur de mercure. Les réglettes LED n'étaient pas parfaites, mais elles sont à des années-lumière de ce que nous faisions il y a 10 ans en matière de contrôle de l'éclairage.

Dans la scène d'ouverture du film, Walter s'exclame, « Regarde... tu es là ! » Et dans la scène finale, Esther dit à Sylvia, « On te voit. On te voit vraiment. » Ces répliques encadrent le film et soulignent l'importance de se voir les uns les autres, et de voir des films comme celui-ci à l'écran. Pour vous, que signifie le fait d'avoir pu raconter cette histoire, tant au niveau personnel que professionnel ?

Msangi : Cela représente énormément. Je ne tiens pas pour acquis d'avoir pu trouver le financement pour faire ce film, d'avoir reçu un tel accueil, et d'avoir réussi à le vendre. Parce que j'ai essayé pendant de très longues années. J'ai grandi en Afrique de l'Est, et j'y puise l'inspiration pour un grand nombre de mes histoires. Pendant des années, j'ai tenté de trouver le financement pour des films sur les Africains ou les immigrants africains, mais en vain. Le raisonnement a toujours été qu'à moins qu'il ne s'agisse d'un problème grave, comme une loi terrible ou des enfants soldats ou ce genre de thématique, cela n'intéresse personne, car il n'y a pas de marché de diffusion. Alors, au niveau personnel, trouver des personnes qui ont cru en ce film est tout simplement phénoménal. Et avoir pu réaliser ce film avec l'équipe signifie beaucoup pour moi.

Cole : Ce qui est intéressant avec la présentation du film, c'est qu'au début, vous les voyez tous les trois ensemble dans le même cadre, et cela ne se reproduit plus jusqu'à la dernière scène du film. Sylvia n'est jamais avec ses deux parents en même temps dans son chapitre, Esther est toujours seule dans son chapitre, et Walter ne cesse d'aller et venir dans le sien. On s'est dit, « Et si on les séparait jusqu'à la scène finale, où ils peuvent enfin se voir ? »

Personnellement, j'ai vraiment apprécié pouvoir raconter une histoire de cette façon si particulière, avec une tonalité unique. Souvent, lorsque vous voyez des personnages qui me ressemblent, ils n'ont pas forcément accès au type de narration visuelle tridimensionnelle que celle que nous avons essayé de présenter dans ce film. Et puis, accéder à une plateforme telle que Sundance et IFC a été une expérience magique. Je suis vraiment reconnaissant.

Toutes les images sont reproduites avec l'aimable autorisation d'IFC Films.