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Darius Khondji, ASC, AFC à propos de la cinématographie de Bardo

Voyage liminaire : Darius Khondji, ASC, AFC aide le réalisateur Alejandro G. Iñárritu à donner vie à sa vision de Bardo à l’écran.

Dans Bardo : Fausse chronique de quelques vérités, le réalisateur mexicain et expatrié Silverio Gama (Daniel Giménez Cacho) entreprend un voyage spirituel et temporel de l'âme au cours duquel il est contraint de faire face à ses appétits créatifs, son histoire familiale, son identité nationale, sa propre mortalité et plus encore. Le récit est marqué par les réflexions personnelles du réalisateur et coscénariste Alejandro G. Iñárritu. Pour l'aider à concrétiser sa vision du film, celui-ci a choisi comme chef opérateur Darius Khondji, ASC, AFC. Depuis la première projection de Bardo, le travail de Khondji a été récompensé par une Grenouille d'argent au Festival international du film EnergaCamerimage et par de plus en plus de nominations, notamment de la part de ses collègues de l'American Society of Cinematographers.

Pendant la préproduction, Darius Khondji a contacté vers Panavision afin de se procurer un ensemble d'objectifs centrés sur trois focales grand angle de la série d'optiques grand format Sphero 65, lui permettant d'accentuer la présence des acteurs dans les espaces traversés. Le chef opérateur a récemment repris contact avec Panavision pour témoigner de sa participation au projet.

Panavision : Comment est-ce qu'Alejandro a décrit sa vision pour Bardo ?

Darius Khondji, ASC, AFC : Tout a commencé par une série d'échanges téléphoniques. Un de ses amis m'a contacté et m'a dit qu'Alejandro cherchait à me joindre pour un projet sur le point de démarrer, et que c'était plutôt urgent. Alejandro m'a appelé du Mexique alors que j'étais à Paris et nous avons commencé à discuter de cette incroyable histoire. Ce qu'il me disait était extraordinaire. Il s'agissait de quelque chose de très profond, de très personnel, et je sentais que c'était quelque chose de très important. Il voulait raconter une histoire qui était très importante pour lui.

Nous nous sommes vraiment bien entendus, et j'étais déjà plongé dans l'histoire avant même qu'il ne songe à m'envoyer le scénario. Puis, quand j'ai lu le scénario, je l'ai trouvé magnifique. Je me suis immédiatement décidé : « Oui, je vais faire le film ». J'ai sauté dans un avion direction le Mexique et nous avons immédiatement examiné les lieux de tournage disponibles.

Au début de votre collaboration, est-ce que des éléments comme la caméra en mouvement, les longues prises et les perspectives grand angle figuraient déjà dans ce qu'Alejandro prévoyait ?

Darius Khondji : Les mouvements très fluides, les longues séquences et l'utilisation de grands angles étaient déjà ancrés en lui. Il voulait vraiment raconter l'histoire de cette manière.

Qu'est-ce qui vous a particulièrement attiré chez les objectifs Sphero 65 ? Quelles sont leurs caractéristiques qui vous ont permis de déterminer qu'ils se prêtaient bien à cette histoire ?

Khondji : J'ai proposé à Alejandro de tourner en grand format, en numérique, pour que les acteurs soient vraiment présents et pour cartographier les paysages autour de Silverio de façon réaliste. Je ne recherchais pas la définition, mais plutôt la présence. J'ai pensé que ce serait la meilleure façon de narrer l'histoire.

Nous avons testé les objectifs Sphero, et les focales de 17 mm, 21 mm et 24 mm étaient excellentes. Ils étaient grand angle, mais ne présentaient pas tant de distorsions. Après avoir placé la caméra à une certaine hauteur, la distorsion s'est corrigée d'elle-même. Nous avions des doubles des focales de 17 mm, 21 mm et 24 mm, et avons tourné presque l'intégralité du film avec ces objectifs.

Il n'y a pas de distorsion en barillet, mais l'image donne l'impression de s'étirer sur les côtés du cadre, ce qui suggère un effet de distorsion temporelle.

Darius Khondji : Oui, c'est une très bonne remarque. C'était une distorsion temporelle. Ce n'est pas quelque chose que nous avions prévu, mais c'est un élément qui ressort du film. C'est bien que vous l'ayez souligné.

Il y a des réminiscences d'autres films qui réfléchissent sur la vie et la mort et l'ambition artistique, des films comme de Fellini ou Les Fraises sauvages de Bergman. Est-ce que des films comme ceux-ci ont été un point de repère direct pour vous et Alejandro ?

Darius Khondji : Ce sont des films que nous avons visionnés. Nous avons visionné dans le cinéma de Churubusco avec toute l'équipe. Mais, vous savez, quand vous regardez un film comme , il est impossible d'être vraiment directement inspiré. Vous le regardez, vous le ressentez, et c'est tout ce que vous pouvez retenir d'un grand film comme , Citizen Kane ou Les fraises sauvages. C'est trop fort, trop puissant pour essayer de retenir autre chose que le sentiment.

Mais nous avons visionné , Les fraises sauvages, Chansons du deuxième étage et d'autres films du genre. Nous avons regardé des extraits de Los Olvidados et de Que le spectacle commence. Il y avait toujours des membres de l'équipe avec nous, notamment Eugenio Caballero, le chef décorateur, Anna Terrazas, la costumière et Stacy Perskie, la productrice. Ces films étaient comme des amis. Ils nous ont accompagnés, et le film a été auréolé de tout ça, comme de petites étoiles envoyant des messages positifs. C'est comme ça que je puise mon inspiration. C'est juste une idée que nous avons apportée avec nous.

Depuis plusieurs années, vous parlez également de l'inspiration que vous avez trouvée dans le cinéma muet. Est-ce que vous continuez à trouver de l'inspiration dans les films muets ?

Darius Khondji : Oui. Tout à fait. J'adore le cinéma muet. J'adore les films en noir et blanc. La plupart de mes sources d'inspiration avant le début d'un film sont des images en noir et blanc. J'aime beaucoup la couleur, mais j'y fais très attention, car celle-ci peut vous influencer énormément. Vous devez donc être prudent avec la couleur. Mais je suis influencé par le cinéma muet. Ils sont pour moi comme des amis. C'est comme aller à la Tate Gallery ou au Metropolitan Museum. Je connais ces endroits, mais j'y vais juste pour trouver un espace, un lieu, juste pour être devant un tableau de Giotto.

Je n'ai jamais étudié l'histoire de l'art ou l'histoire du cinéma. J'ai étudié le cinéma dans une école spécialisée à New York, mais je me souviens d'être allé tous les week-ends au Metropolitan Museum et d'avoir passé du temps devant des tableaux. Parfois, l'Europe me manquait, alors je passais devant les œuvres des impressionnistes, et je regardais des lieux que je connaissais près de Paris, au bord du fleuve. C'était magnifique. L'inspiration est très importante.

Avec ses réflexions sur la vie, la mort et la créativité, Bardo est un film enivrant et plein d'émotions. Qu'est-ce que cela a signifié pour vous sur le plan personnel de pouvoir aider à raconter cette histoire ?

Darius Khondji : Immédiatement après avoir rencontré Alejandro, nous avons noué un lien très fort. J'étais face à un grand artiste, et celui-ci se mettait à nu dans le film. Il racontait son histoire et celle de sa famille. Il y avait quelque chose de très fort dans ça, il ne bluffait pas. Il ne faisait pas le film pour plaire au public, mais pour raconter une histoire, et il espérait que le public puisse s'y identifier. Alors dès qu'il m'a eu de son côté, j'ai voulu raconter l'histoire. Tout ce qu'il a dit a résonné en moi.

Il était extrêmement précis. Il cherchait juste quelqu'un pour être son premier interprète, comme le premier musicien d'un groupe qui joue avec lui. C'est ce que nous avons fait : nous avons joué la musique du film ensemble, nous avons joué l'histoire ensemble. Je l'ai aidé à raconter l'histoire à travers des images, et ça a été l'expérience la plus extraordinaire de ma vie.

Toutes les images sont reproduites avec l'autorisation de Netflix.