Passer au contenu principal

À la découverte des extrêmes

Le chef opérateur Pawel Pogorzelski, le 1er assistant opérateur Dany Racine et Brian Mills de Panavision racontent leur collaboration dans le film Beau Is Afraid d'Ari Aster.

Le chef opérateur Pawel Pogorzelski et le scénariste et réalisateur Ari Aster ont commencé leur longue collaboration lorsqu'ils étaient étudiants à l'American Film Institute. Après avoir réalisé ensemble une série de courts-métrages, ils ont collaboré pour la réalisation des films d'horreur Hérédité et Midsommar, qui leur ont à leur tour ouvert la voie pour leur dernière collaboration dans le film Beau Is Afraid. Selon Pogorzelski, le film est une belle histoire épique. C'est l'Odyssée d'Homère du 21e siècle.

Beau Is Afraid suit le personnage éponyme de Beau Wassermann (Joaquin Phoenix) qui rend visite à sa mère - un voyage qui tourne immédiatement au drame, l'entraînant dans un détour tordu et sombrement comique à travers les horreurs du monde moderne. Pogorzelski et Aster ont commencé à discuter du projet bien avant la photographie principale, et ont sélectionné l'équipe de tournage six mois avant le début de la production. En outre, comme ils l'avaient fait dans leurs précédentes collaborations, ils ont encore une fois travaillé avec Brian Mills, un membre de l'équipe Special Optics de Panavision Woodland Hills, afin de créer un ensemble d'optiques qui correspondrait à la vision d'Aster pour l'histoire.

Avant la sortie du film, Pogorzelski, Mills et le 1er assistant opérateur Dany Racine ont réfléchi aux partenariats créatifs qui ont permis de réaliser Beau Is Afraid, de l'imagination de son réalisateur jusqu'au grand écran.

Chef opérateur Pawel Pogorzelski.

Panavision : Pawel, lorsque Ari et vous discutez pour la première fois d'un projet, commence-t-il à prendre forme tout de suite ?

Pawel Pogorzelski : Ari est parfaitement préparé et a une vision très claire. Nous regarderons quelques films et transmettrons des références. Il sait très bien ce qu'il veut. Quant à moi, j'exécute. Ce qui me rend heureux, c'est quand je lui montre un test lors des préparations, et qu'il me dit : « c'est ce que je voulais, mais en mieux. ». Je suis alors en mesure de prendre cette direction.

Dany, comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans ce projet ?

Dany Racine : C'était ma première collaboration avec Pawel. J'ai entendu dire qu'Ari venait à Montréal pour son prochain film, et j'avais vu son travail avec Pawel. J'ai donc tout de suite contacté Pawel et je me suis assuré de rester disponible. Je voulais vraiment faire partie de ce projet.

Lorsque Pawel et vous avez discuté pour la première fois, comment a-t-il décrit le projet ?

Racine : Eh bien, il est très proche d'Ari, il m'a donc parlé de leurs derniers projets communs. Il m'a également dit qu'Ari aimait travailler en étroite collaboration avec le département de tournage. Peu de temps après, il a invité Ari à une réunion afin que nous puissions discuter tous ensemble du projet - le cadreur, Ari, Pawel et moi-même. Nous avons abordé chaque détail : les besoins, les défis, le budget et les acteurs. C'était environ six mois avant le début du tournage, tout le monde a donc été impliqué très tôt dans le processus.

Il était très important pour Pawel qu'Ari connaisse le fonctionnement du département de tournage et qu'il soit bien entouré. Il devait s'assurer qu'Ari était à l'aise avec la façon dont nous allions travailler dans le projet. Et c'était très passionnant. Il y avait le cadreur, Geoffroy St-Hilaires, et le deuxième assistant opérateur, Soupharak Keoborakoth. Nous étions tous les trois presque toujours dans la pièce avec Ari et Joaquin, à vivre ce moment, collés à la caméra.

Joaquin Phoenix et le réalisateur Ari Aster.

Pawel, au moment de choisir vos objectifs, comment procédez-vous avec Brian ?

Pogorzelski : Je transmets les références d'Ari à Brian qui choisit les objectifs que je teste tout de même. Nous regardons le résultat sur le grand écran ici à Panavision, avec le réalisateur, et nous choisirons ensuite celui que nous préférons. À partir de là, je dis à Brian : « nous disposons désormais d'une base. Comment allons-nous avancer ? »

Brian Mills : Dès la première discussion, lorsque Pawel m'envoie des références, je creuse dans le vaste inventaire de nos objectifs pour trouver le point de départ qui pourrait faire l'affaire. Quelle caméra envisage-t-il d'utiliser, quelle est la période de fabrication des objectifs, quelle est la mise au point rapprochée, quelles sont les qualités intrinsèques des objectifs ? Le premier choix évident est celui de l'anamorphique ou du sphérique, et à partir de là, nous réduisons nos options à quelques séries. Pawel teste ensuite pour déterminer ce qu'il lui plait.

Au cours de ce processus, nous parlons également de l'histoire. Dans le cas de Beau Is Afraid, nous avons beaucoup parlé du caractère isolé de Beau, et cela nous a orientés dans la direction que nous voulions prendre. Après le premier test, nous discutons des possibilités que nous offrent les objectifs qu'il a choisis pour voir comment nous pouvons les adapter à l'image.

Pour Beau Is Afraid, qu'est-ce qui vous a mené à choisir les Panaspeed ?

Mills : Le format y est pour quelque chose. Pawel prévoyait l'utilisation d'Alexa LF, nous cherchions donc des objectifs compatibles avec le large format. Nous les avons choisis pour leur rapidité, leur facilité d'utilisation, la mise au point rapprochée et les possibilités de personnalisation qu'ils offraient. Nous l'avons fait à plusieurs reprises, et je pense que Pawel a tendance à le savoir tout de suite lorsqu'il voit le bon objectif. Il n'est jamais hésitant à ce sujet. Lorsqu'il trouve le bon modèle, il dit : « c'est celui-là ». Nous commençons ensuite l'adaptation de l'objectif aux préférences de Pawel, et nous arrivons à reproduire le résultat qu'il souhaite obtenir au fil des jours qui suivent.

Pogorzelski : Ari est très impliqué. Sa première expérience était sur le plateau d'Hérédité, et c'est comme ça que nous réalisons des films aujourd'hui. Il est très visuel, il a un très bon flair et il sait à quoi ressemblera son film à la fin. Je peux lui demander : « Que pensez-vous de cette image ? » et il me répond : « Je pense qu'elle pourrait être un peu plus douce » ou « Est-ce qu'on peut faire ressortir davantage les couleurs ? ». C'est une collaboration, et les préférences de Brian sont prises en compte. Il sait qu'il doit faire avancer les choses.

Mills : Pour Pawel, plus est toujours mieux que moins. Nous pousserons les choses à l'extrême, puis nous reculons.

Pogorzelski : J'aime trouver la limite et reculer jusqu'à ce que l'on ne la sente plus. Je veux tester le facteur de flare, ce qui se passe lorsque nous filmons dans l'obscurité, dans la lumière, avec des lumières vives dans l'obscurité - je teste tous ces scénarios pour en voir les effets. Existe-t-il un point de rupture quelque part ? Est-ce que le facteur de flare est trop fort ? C'est peut-être très intéressant pour un film, mais pas pour un autre.

Ayant travaillé ensemble sur plusieurs films, avez-vous développé un langage commun lorsque vous parlez de ces caractéristiques optiques ?

Mills : Oui, comme nous avons appris à nous connaître au fil des ans, j'ai l'impression de mieux comprendre ce que Pawel veut faire. À ce stade, je comprends sa vision artistique et je peux l'aider à cet égard un peu plus facilement.

Il a utilisé Primos pour Hérédité et Primo 70s pour Midsommar. De ce point de vue, Pawel souhaite généralement voir ce que nous avons pu développer depuis la dernière image. Mais les références qu'il partage nous servent de point de départ. Certains de nos objectifs plus vintage conviennent à certains projets, mais pas à d'autres. Pour Beau Is Afraid, il voulait des couleurs très saturées La reproduction des couleurs par les objectifs était donc très importante, ce qui nous a amenés à utiliser des objectifs modernes.

Pogorzelski : Mais elles étaient d'une grande douceur. Je sais que Dany a réalisé de très nombreux films au Canada et aux États-Unis, et lorsqu'il les a vus, il a dit : « Ce sont les plus beaux objectifs que j'aie jamais utilisés ».

Racine : On pouvait voir qu'ils avaient un caractère comme on n'en trouve nulle part ailleurs.

Pogorzelski : Ce qui était également génial, c'est cette impression d'avoir plusieurs objectifs en un seul. T1.4 offre certaines caractéristiques - le large format permet non seulement d'obtenir une profondeur de champ très faible, mais on constate également une floraison et un effondrement sur les côtés. Lorsque l'on se concentre sur 2.8, la douceur est toujours présente, mais la dégradation n'est pas aussi marquée. Et si on choisissait 5.6, ils étaient encore une fois différents. C'est le même objectif, mais il y a une légère différence, avec une petite touche d'originalité. C'était vraiment cool. Nous les avons clairement utilisés pour la narration de l'histoire.

Racine :Le diaphragme dit tout. Nous parlions d'une prise de vue et je disais à Pawel : « ouvrons le diaphragme pour pouvoir élargir le plan et nous concentrer sur les yeux. » Nous nous sommes lancé un défi, et lorsque nous avons décidé d'opter pour une faible profondeur de champ, c'était pour une bonne raison. Ce n'est pas parce que nous ne pouvions pas l'éclaircir.

Pogorzelski : Dany avait une maîtrise remarquable de ces objectifs - il les connaissait presque mieux que moi. Il disait : « Je pense que c'est le bon moment pour le 1.4, qu'en pensez-vous ? ». Il n'avait peur de rien et il ressentait vraiment l'impact émotionnel que les objectifs pouvaient avoir pour contribuer à l'action en cours.

Racine : Eh bien, le fait est qu'Ari et Pawel ne se focalisent pas sur la quantité lorsqu'ils réalisent leurs prises de vue. C'est la qualité qui est importante. Tout dépend de ce que vous voulez raconter à travers la prise de vue. Chaque prise a sa propre histoire. C'est pourquoi nous pouvions discuter de l'idée de choisir une profondeur faible, même si c'était plus difficile pour moi, parce qu'il y avait un but à cela. Ce n'était pas que pour le style. C'est pour l'histoire que nous racontions.

Pawel s'y connaît en matière d'éclairage. He can light the entire movie at 4 or 2.8. But the idea was, 'What's the best stop for the scene?' C'est un film très émouvant. Chaque prise est très intense. Joaquin est incroyable, et sa performance est tellement touchante. C'est ce à quoi nous pouvions nous référer et que nous pouvions développer.

​​​​​​​Y a-t-il eu des focales particulières qui se sont révélées être essentielles à votre travail ?

Pogorzelski : Ari adore les objectifs grand angle.

Mills : 17 mm, 24 mm, 35 mm.

Pogorzelski : Et 40 mm, et le 50 mm était notre objectif de longue focale. Nous avons également utilisé un zoom, le Primo 11:1. Il y a eu une scène où nous avons commencé par un plan large, puis nous avons zoomé sur Joaquin pendant une très longue période, environ trois minutes, et Dany devait garder la netteté sur ses yeux.

Racine : Je pense qu'il s'agissait d'une combinaison d'un travelling et d'un zoom, et nous avons suivi toute l'étendue du zoom. C'était très intense et lent. C'était très émouvant. Joaquin se donne à fond, c'est pourquoi vous devez bien le faire dès le début. Vous ne voulez pas lui faire répéter la scène 10 fois. Tout était dur - le Dolly, le zoom, la mise au point. Nous nous sommes donc entrainés et nous avons passé beaucoup de temps sur cette prise. C'était un après-midi assez difficile.

Pogorzelski : Dany était très cool. On dirait un ninja !

Racine : J'ai toujours essayé de travailler avec des réalisateurs et des directeurs de la photographie avec lesquels je voulais travailler, et Beau Is Afraid est le film le plus important et le plus intime de ma carrière. Celui-ci dépassait toutes mes attentes. Ma relation avec Ari et Pawel constitue un autre niveau de réalisation cinématographique.

Pawel est l'un des meilleurs directeurs de la photographie avec lesquels j'ai travaillé. Il est si talentueux et dévoué. Lorsqu'il veut quelque chose, vous devez le faire à moins que vous ne puissiez prouver que ce n'est pas possible. C'est donc très difficile, mais cela permet de rendre le film meilleur. Il repousse les limites, et il s'est assuré que nos visions soient concrétisées à l'écran. Tout y est. J'en suis très fier.

Pawel, qu'est-ce qui vous a amené à suivre une carrière dans la cinématographie ?

Pogorzelski : c'était mon père qui m'avait encouragé à le faire. Je faisais des études de sciences à l'âge de 17 et 18 ans parce que tous mes amis et les membres de ma famille étudiaient les sciences de la santé, mais c'était comme une langue différente - je ne la comprenais pas. Toutes les règles étaient évidentes. J'ai voulu comprendre pourquoi. J'ai rencontré beaucoup de difficultés. Et mon père, qui était dentiste, mais qui voulait devenir chef opérateur, m'a suggéré d'essayer la photographie. J'ai essayé et j'en suis tombé amoureux tout de suite. Dans la photographie, les règles sont faites pour être comprises et brisées. Cela me convenait bien mieux que la chimie ou la biologie. Il n'y a pas de bonne façon de faire quelque chose, mais vous savez pourquoi vous faites ce que vous faites ou pourquoi vous choisissez un objectif en particulier. Il y a une raison, ou du moins une intuition.

Je dois également remercier mes parents qui m'ont constamment inspiré des images grâce aux merveilleux livres qu'ils nous lisaient dans notre enfance. C'est ce qui me vient à l'esprit lorsque l'on me demande ce qu'est la cinématographie. Le scénario est le livre, et je reste un enfant de 5 ans dans son lit à imaginer des choses dans sa tête. Aujourd'hui, j'ai la chance de les concrétiser à l'écran et de les partager avec tout le monde. C'est mon métier.

Images de Beau Is Afraid fournies avec la permission de A24. Photo de l'équipe prise par Takashi Seida. Photo de Pawel Pogorzelski prise par Mike Carter.