La cheffe opératrice Hillary Spera parle de Run et The Craft: Legacy
Ces films récents présentent un certain nombre de points communs. Le plus important d'entre eux : les deux films ont été orchestrés par la cheffe opératrice Hillary Spera. Les deux histoires sont dans le domaine de l'horreur et du thriller, et chacune implique une relation mère-fille qui s'avère bien différente que ce que l'on croyait au départ. « Dans les deux cas, je dirais qu'il s'agit d'un lien très fort entre la mère et la fille », note Spera. « Dans les deux films, elles s'aiment vraiment et tentent de définir leur relation ».
Réalisé par Aneesh Chaganty, Run se concentre sur Chloe (Kiera Allen), une adolescente brillante et persévérante, sur le point d'entrer à l'université, qui, d'aussi loin qu'elle se souvienne, a toujours souffert de plusieurs maladies graves et est paralysée à partir de la taille. Alors qu'elle attend avec impatience une réponse à sa demande d'admission à l'université, Chloé est de plus en plus convaincue que sa mère célibataire, Diane (Sarah Paulson), cache un sombre et terrible secret.
The Craft: Legacy, quant à lui, fait suite au long métrage d'Andrew Fleming The Craft sorti en 1996, présentant une nouvelle génération de quatre jeunes femmes qui se lient d'amitié tout en développant leurs pouvoirs magiques. Écrit et réalisé par Zoe Lister-Jones, Legacy s'ouvre sur Lily (Cailee Spaeny) et sa mère, Helen (Michelle Monaghan), qui emménagent chez le petit ami de cette dernière, Adam (David Duchovny), et ses trois fils. Dans sa nouvelle école, Lily fait la connaissance de Lourdes (Zoey Luna), Frankie (Gideon Adlon) et Tabby (Lovie Simone), et prend petit à petit conscience de ses pouvoirs et de son potentiel.
Le long métrage Run a été tourné en premier, durant l'automne 2018 à Winnipeg, et The Craft: Legacy a été tourné l'année suivante, à l'automne 2019, principalement à Toronto. Pour ces deux projets, Spera s'est tournée vers ses partenaires de longue date chez Panavision. « Ce sont toujours mes interlocuteurs privilégiés », dit-elle. « J'apprécie cette relation de travail avec Panavision. Le soutien qu'ils m'apportent est l'une des choses les plus importantes pour moi. Ils répondent toujours « oui » ; ils sont toujours prêts à m'aider à trouver des solutions, et ils sont toujours là pour me soutenir. Et leur réseau est très vaste. C'est vraiment fantastique de pouvoir appeler [le responsable du marketing] Rik DeLisle chez Panavision Hollywood et qu'il me mette en relation avec [le responsable des locations et des services] Jerry Papernick chez Panavision Toronto. Cela facilite et optimise les choses car je travaille dans de nombreux endroits différents. »
Hillary Spera et le réalisateur Aneesh Chaganty.
Spera a collaboré avec Papernick pour Run et The Craft: Legacy. « Et puis, ajoute-t-elle, lorsque nous sommes allés à Los Angeles à la fin de Craft, Jerry et Rik ont partagé des informations et travaillé ensemble. Je leur suis très reconnaissante à tous les deux. Ils ont vraiment déplacé des montagnes pour que notre projet fonctionne. »
Le parcours de Spera vers la cinématographie a commencé par un intérêt pour la photographie, qu'elle a décidé d'étudier à l'université. C'est là qu'elle a commencé à passer des photos aux films. « J'ai commencé à filmer tout ce que je pouvais », se souvient-elle. « J'ai déménagé à New York dès que j'ai obtenu mon diplôme, et j'ai saisi toutes les opportunités qui se sont présentées à moi. Je me suis fixé comme règle de ne jamais dire "non". J'ai appris sur les plateaux, en faisant beaucoup d'erreurs et en suivant ma passion profonde pour la narration visuelle. »
Depuis, son CV comprend des longs métrages tels que Black Rock, Submission, Les Potes, Alex Strangelove et Duck Butter, ce dernier l'associant pour la première fois à la productrice Natalie Qasabian. Lorsque Qasabian a commencé à travailler sur Run, elle a contacté Spera et l'a présentée à Chaganty, qui avait écrit le scénario avec le scénariste-producteur Sev Ohanian. Spera se souvient de sa rencontre avec Chaganty : « nous nous sommes tout de suite entendus. Nous avions beaucoup de références communes et nous partagions une même vision du film. Il m'a vraiment impressionné par sa façon de se préparer et de concevoir le film, mais aussi par son ouverture à la collaboration. Sev et Aneesh ont écrit le scénario en laissant une grande marge de manœuvre sur le plan visuel, et j'étais donc très enthousiaste à l'idée de ce que cela pouvait donner d'un point de vue esthétique. »
Pendant la préproduction, Qasabian, Chaganty et Spera ont formé un trio soudé qui prenait ensemble ses décisions créatives. « Tout était ouvert à la discussion », se souvient la cheffe opératrice. « Par exemple, j'ai lancé l'idée de tourner avec des objectifs anamorphiques, et nous avons discuté ensemble des raisons pour lesquelles je pensais que cela fonctionnerait. C'était un exercice amusant qui permettait de s'assurer que le groupe adhérait aux décisions que nous prenions. Je pense que le film est plus fort grâce à cette confiance et ce soutien mutuel. »
En ce qui concerne le choix de l’anamorphique, elle explique, « Les pièces de la maison offraient différents cadres déjà présents qui, selon moi, pouvaient se compléter avec l’anamorphique, en ajoutant par exemple une qualité plus texturée, presque en 3D, à certaines des images. C'était un bon exercice, car nous avons tourné dans de très petits espaces. Je remercie le 1er assistant caméra Doug Lavender d'avoir relevé le défi, même si nous utilisions des dioptries, souvent proches du mode panoramique. Il a monté un pointeur rétractable sur le porte-cache pour certains de nos gros plans où la profondeur de champ était très faible, et il l'utilisait pour montrer à Kiera jusqu'où elle pouvait se pencher, afin qu'elle ait un repère physique de ce qu'elle pouvait et ne pouvait pas faire. J'ai trouvé cette idée brillante. »
Après avoir testé plusieurs options, Spera a opté pour les objectifs anamorphiques série E de Panavision, qu'elle a complétés par quelques focales plus larges de la série T, dont un 35 mm, afin de préserver les lignes architecturales de l'intérieur de la maison. « Je suis tout de suite tombée amoureuse de la série E, car elle est plus ancienne et possède une belle qualité de verre vintage », explique-t-elle. « Aneesh et moi souhaitions donner au film une esthétique un peu intemporelle et pas nécessairement moderne et nette, et les E donnent un aspect plus doux, ce qui a beaucoup aidé à faire ressortir les images et à respecter notre style. »
Spera et Chaganty ont réalisé un storyboard de l'ensemble du film pendant la préproduction, et la cheffe opératrice note que les plans finaux correspondaient « presque exactement » aux planches. Aneesh les dessinait, et nous en discutions ensemble. C'était un film très recherché sur le plan visuel. Il y avait beaucoup de thèmes et d'images répétés. Aneesh voulait créer un sentiment de répétition et de routine. Ensuite, lorsque la routine se brise, on le ressent.
« Souvent, la caméra est une extension du monde de Chloé », poursuit Spera. « Qu'il s'agisse d'un plan panoramique filé ou d'un lent travelling, la caméra est motivée par ce qu'elle remarque. Une grande partie du film consiste à révéler des indices, à remarquer des détails et à assembler lentement les pièces du puzzle, et la caméra aide le spectateur à le faire. Je ne suis pas du genre à faire un mouvement de caméra juste pour le plaisir de le faire. Il doit avoir un but.
Parmi les références visuelles des cinéastes, Spera cite Rosemary's Baby pour ses « cadres dans les cadres ». C'est aussi un film contenu, dans le sens où il se déroule principalement dans un seul endroit, où le personnage est coincé. Une autre grande inspiration pour moi a été Le Locataire ; on se sent claustrophobe, mais visuellement, cela ne devient jamais gênant, ennuyeux ou trop contraignant. Panic Room était aussi un bonne référence de film qui se déroule uniquement dans une maison. Et Aneesh dirait que [le scénariste-réalisateur M. Night] Shyamalan a été une énorme source d'inspiration pour lui. »
En fait, Chaganty et Spera ont conçu un mouvement de caméra prolongé - pour une scène dans laquelle Chloé découvre une boîte qui contient la clé de son histoire et de celle de Diane - comme un hommage direct à un plan du film Incassable. Dans le film de Shyamalan, explique Spera, « il y a un plan d'un garçon qui regarde une bande dessinée alors qu'il est assis sur un banc, et la caméra regarde droit vers le bas et tourne de 180 degrés à mesure que le garçon fait tourner le livre ».
Le plan de Run commence avec la caméra qui s'élève au-dessus de la boîte au premier plan tandis que Chloé, au sol et face à la caméra, la tire vers elle. Lorsqu'elle saisit la boîte, la caméra avance, et lorsqu'elle ouvre le couvercle, la caméra s'incline pour regarder dans la boîte. La caméra commence alors à tourner pendant que Chloé examine le contenu. Dans le montage final, la scène s'arrête ici, mais Spera révèle que le mouvement de caméra s'est en fait poursuivi pendant toute la durée de la scène, pour finalement s'incliner vers le haut et se poser sur Chloé en gros plan. « Junichi Hosoi était notre caméraman A, et il est incroyable », s'enthousiasme-t-elle. « À la fin de la prise, il filmait à l'envers sur une tête à l'envers, et il s'en est sorti haut la main. C'était un mouvement compliqué, mais je pense que nous avions notre référence, que nous avons développée à notre façon. »
Le caméraman A, Junichi Hosoi, Chaganty et Spera.
La principale source d'inspiration des cinéastes a sans doute été l'œuvre d'Alfred Hitchcock. Si des clins d'œil au réalisateur sont semés tout au long de Run, un plan particulier - avec Chloé au premier plan, bouleversée par les informations qu'elle vient de recevoir, alors que Diane court vers elle en l'arrière-plan - imite directement la célèbre technique du travelling compensé qu'Hitchcock et le chef opérateur Robert Burks de l'ASC, ont employée dans Vertigo. « Aneesh et moi cherchions tous deux une occasion de faire cette référence, qui est un hommage, en fait », explique Spera. Pour réaliser cette prise de vue, elle a utilisé le zoom Telephoto anamorphique (ATZ) 70-200 mm T3.5 de Panavision, et elle estime que le déplacement de la caméra a été d'environ 20 pieds. « C'était délicat parce qu'il n'y avait pas beaucoup d'espace ou de temps pour ce mouvement de dolly. Une fois encore, tout cela a été possible en grande partie grâce à Doug Lavender. »
Une grande partie du film se déroule dans la maison de Chloé et Diane, isolée à la campagne. Comme l'explique Spera, les scènes en extérieur et celles du rez-de-chaussée ont été tournées dans une « petite ferme dans les environs de Winnipeg ». « On se sentait petit à l'intérieur, mais il y avait une super texture. C'est effrayant. Dès que nous avons vu la maison, nous sommes tous tombés amoureux d'elle. »
Les scènes se déroulant à l’étage, notamment celles de la chambre de Chloé, ont été tournées en plateau. « L’ensemble du plateau a été construit selon les spécifications de Kiera pour qu’elle puisse s'y déplacer facilement. Le chef décorateur, Jean-André Carriere, a également réalisé un travail remarquable en tenant toujours compte du dolly, afin que la caméra et Kiera puissent se déplacer sur l’ensemble du plateau. »
Dans une séquence particulièrement éprouvante, Chloé se traîne par la fenêtre de sa chambre, traverse le toit, et revient à l'intérieur de la maison, dans la chambre de Diane, par une autre fenêtre. « Nous l'avons appelée notre Mission : Impossible parce que nous voulions de l'action et de l'envergure », dit Spera. « Dans les deux cas, c'est un défi physique fou ». Le toit était incliné, donc pour certains plans, ajoute-t-elle, « nous avons du construire un demi-toit en plateau qui n'était pas incliné, afin que Kiera puisse jouer dessus sans avoir à se tenir debout. » Pour simuler la pente du toit, les réalisateurs ont simplement incliné la caméra.
Les acteurs et l'équipe se sont attaqués au tournage de la scène sur le toit le premier jour du tournage. « Nous nous sommes lancés dans le feu de l'action », se souvient Spera. « Nous avons commencé le jour 1 par l'une de nos séquences les plus difficiles, avec une Technocrane sur un toit à Winnipeg, en hiver, et nous sommes partis de là. »
L'été suivant, Spera est retourné au Canada pour la préproduction de The Craft: Legacy. « Zoe et moi avions commencé à en parler au printemps 2019, et nous avons entamé la liste des plans au début de l'été », se souvient la cheffe opératrice. « Je suis allé à Toronto en août, nous avons tourné jusqu'à Thanksgiving, puis nous avons fait une semaine à Los Angeles. »
La réalisatrice Zoe Lister-Jones.
Spera et Lister-Jones s'étaient déjà associés pour le long métrage Anna et Ben, qu'ils ont tourné en 12 jours en 2016. La directrice de la photographie décrit ce projet comme « une expérience extraordinaire ». Zoe s'était fixé pour objectif d'embaucher uniquement des femmes dans chaque corps de métier, et c'est ce que nous avons fait. De la préproduction à la postproduction, l'équipe était entièrement féminine. Je suis très fière de ce film. C'était vraiment un projet formidable qui a été accompli avec beaucoup d'amour.
« Quand Zoe m'a appelée pour Craft, j'ai failli en tomber de ma chaise », poursuit Spera. « Je suis fan du film original, et c'était génial que Zoe réalise le reboot. Son point de vue sur le sujet était très intéressant et unique. Elle avait une vision du projet claire et inspirée, et des idées très préparées et bien spécifiques sur la façon dont elle voulait le réaliser. »
Le Craft original était ponctué de certaines marques stylistiques, notamment de travellings circulaires autour des quatre jeunes femmes, et de plans en plongée filmés avec une caméra tournante, que les réalisatrices de Legacy voulaient intégrer. « C'était important pour nous », confie Spera. « Et pour Zoe, il y avait toujours une motivation et une intention derrière tout ça ».
À titre d'exemple, elle fait référence à une scène de Legacy dans laquelle les quatre sorcières forment un cercle dans les bois pour pratiquer une cérémonie. Les réalisatrices ont filmé le cercle du dessus, en faisant tourner la caméra, qui était placée sur une tête télécommandée Libra au bout d'une Technocrane. Les personnages, explique Spera, « invoquaient le pouvoir de la nature, la caméra s'est donc élevée au-dessus d'eux pour suggérer cette force omnipotente ». Elle ajoute que ce plan en hauteur a également permis de montrer les personnages comme faisant partie de l'environnement, « par opposition à une grande partie du film où la caméra est resserrée sur eux, à leur niveau. »
Les réalisateurs ont pris soin de représenter fidèlement la sorcellerie de l’histoire. « Il était très important pour nous que tout soit réel », note Spera. « Nous avions trois consultantes en sorcellerie sur le film, et l’une d’entre elles était présente sur le tournage à Toronto. Elle nous disait honnêtement : "C'est authentique et c'est comme ça qu'il faut procéder", à tel point que les filles s'asseyaient dans la direction de leurs éléments. Il fallait que tout concorde dans les moindres détails. »
En dehors de ces mouvements de caméra spécifiquement conçus pour évoquer le film de 1996, Spera note que Legacy « n'était pas censé être exactement comme le film original ». Nous avons décidé de faire un film plus sombre et plus proche du thriller. Rosemary's Baby est revenu comme référence, et nous avons évoqué Possession [1981]. D'une manière générale, nous voulions que le film soit un peu plus lourd, mais qu'il y ait aussi des moments de plaisir et de légèreté ainsi qu'une célébration de la jeunesse et de la découverte. »
Alors que le film original Craft avait été cadré en 1.85:1, Lister-Jones et Spera ont opté pour un écran large anamorphique, en travaillant principalement avec des optiques Panavision série G, qu'elles ont complétées avec des quelques optiques de la série T. En ce qui concerne la série G, la cheffe opératrice déclare : « Nous voulions utiliser un verre un peu plus vintage et un peu plus doux, par opposition à un effet très moderne et très net. De plus, les séries G étaient plus petits et plus faciles à manier, ce qui était pratique car nous changions souvent de lieux de tournage.
« Dès le départ, je savais que nous allions tourner en anamorphique », poursuit-elle. « Lily est souvent seule dans le cadre, et l'écran large permettait de la mettre en valeur, mais il nous a aussi permis de cadrer les quatre filles. L'anamorphose était selon nous la manière idéale de montrer la force de leur relation dans le champ. »
En fin de compte, The Craft: Legacy dresse un portrait du pouvoir que ses quatre femmes trouvent à travers leur amitié. « La magie est presque un supplément », dit Spera. « Le film traite surtout de l'amitié féminine et de l'importance pour les femmes de se soutenir mutuellement. C'était un message très fort pour nous toutes sur le film, et c'était ancré dès le départ. Le scénario de Zoe était phénoménal dans ce sens.
« Nous avions un peu notre propre coven dans notre équipe », ajoute la directrice de la photographie, « notamment la conceptrice de la production Hillary Gurtler, la costumière Avery Plewes et les productrices Natalia Anderson et Bea Sequeira. Zoe, Hillary, Natalia et moi avions toutes collaboré auparavant sur Anna et Ben, et je suis très reconnaissante d'avoir pu les retrouver à Toronto pour ce projet. »
Avec The Craft: Legacy et Run, ce sont ces relations créatives qui semblent avoir le plus marqué Spera, notamment avec les réalisateurs Chaganty et Lister-Jones. Tous deux, dit-elle, sont de « merveilleux collaborateurs ». Avec eux il n'y a pas de mauvaise réponse ; toutes les idées sont les bienvenues. C'est vraiment inspirant. Je me sens très chanceuse d'avoir eu l'opportunité rare de travailler avec des collaborateurs qui m'inspirent pour donner le meilleur de moi-même sur deux projets consécutifs. C'était un rêve de travailler avec chacun d'entre eux. »
Spera en tournage pour The Craft: Legacy.
The Craft: Legacy photos de Rafy Photography, avec l'aimable autorisation de Sony Pictures. Run photos d'Allen Fraser et Eric Zachanowich, avec l'aimable autorisation de Hulu.