Le chef opérateur Alain Duplantier à propos de The Deep Dark
Situé dans la France des années 1950, Gueules noires suit un groupe de mineurs de charbon chargés d'escorter un professeur à travers des profondeurs dangereuses pour récupérer des mesures. Après avoir été piégé par une série de glissements de terrain, l’équipe découvre bientôt la raison terrifiante pour laquelle personne n’a traversé ces grottes depuis cent ans.
Écrit et réalisé par Mathieu Turi, Gueules noires arbore une qualité néo-noire savamment réalisée par le directeur de la photographie Alain Duplantier, qui a tourné le long métrage avec les optiques Primo 70. Ici, le directeur de la photographie met en lumière la façon dont lui et ses collaborateurs ont capturé une histoire qui se déroule presque entièrement dans le noir.
Alain Duplantier : J’avais déjà collaboré avec Mathieu Turi pour son dernier film Méandre. C’est un réalisateur pour qui la préparation est une étape créative importante. Il nourrit et enrichit son film très tôt. Il questionne la narration, la force des personnages, les atmosphères… Et bien sûr toutes ces interrogations invitent inévitablement un questionnement sur l’image. C’est donc une collaboration qui ouvre des champs assez inhabituels et particulièrement intéressants. Mathieu se nourrit de mon approche, comme je me nourris de la sienne. La mise en scène puise dans la photographie, pendant que la photographie se construit sur les enjeux narratifs et émotionnels du film. D’autre part, mon travail photographique personnel, très expressionniste, avec des lumières sculpturales, un travail sur la matière et la profondeur, était une intention photographique qui plaisait beaucoup à Mathieu.
Gueules Noires se déroule sur deux périodes. Mathieu et moi voulions que chacune de ces périodes soit clairement identifiable.
The first was in 1850. The working conditions for miners then were terrible - humidity, dust, darkness, long working days punctuated by explosions, landslides and floods. Nous voulions absolument restituer l’âpreté de ces conditions et approcher au plus près de ce que ces mineurs ont véritablement vécus. Les multiples illustrations que nous avons consultées, les témoignages, les visites sur sites… ont peu à peu orienté nos choix. Utiliser les lampes à pétrole de l’époque pour notre éclairage est devenu rapidement une évidence. Mais ce choix fort ne permettait pas de rendre toute la profondeur de ce que nous avions sous les yeux. Nous devions trouver le moyen de restituer tout le détail d’un univers tout noir habité par des hommes couverts de noir. C’est le travail sur la matière qui nous a permis de retrouver la puissance des situations. Nous avons mouillé les parois, apporté de l’éclat, fait briller les peaux, graissé les vêtements et enfin, utilisé de la fumée pour trouver de la profondeur. Nous y étions. Nous sommes tous très fiers de cette partie. Autant pour le résultat visuel que pour l’engagement collectif de tout le monde. La production, celui de l’équipe HMC, de l’accessoiriste qui devaient à la fois mouiller les parois, alimenter les lampes en huile et régler les mèches en permanence pour avoir le minimum nécessaire en lumière…
La deuxième partie se situe en 1950. Si le travail des mineurs est assez similaire à celui de 1850, l’électricité apporte un changement radical. Les galeries de charbon sont alors éclairées par des lampes disposées au plafond tous les 5 mètres et les mineurs utilisent des lampes frontales intégrées aux casques et alimentées par des piles placées dans des boitiers déportés, accrochés à la ceinture. J’ai proposé à Mathieu d’utiliser ces lampes frontales comme sources principales. C’était la possibilité d’établir une évolution naturelle et évidente à notre première partie. Tout en restituant, encore une fois, la réalité de cette seconde période. Il était important aussi que Mathieu adhère pleinement à ce choix, et en comprenne les enjeux, car sa mise en scène devra intégrer le fait que les acteurs eux-mêmes sont porteurs de nos sources lumineuses.
Il fallait maintenant trouver la lampe idéale. Avec Franck Barrault, mon gaffer, nous avons choisi des lampes de spéléo de la marque Scurion équipés de deux LED, l’une avec un faisceau large (flood) et l’autre un faisceau concentré (spot). Il était nécessaire de pouvoir les contrôler à distance pour pouvoir maintenir le contrôle de la densité et du mélange des deux faisceaux. Franck a collaboré avec la Société Art Tech Design pour équiper ces lampes de drivers compatibles avec les diodes LED et pour concevoir les boîtes que porteraient les acteurs à la ceinture qui contenaient les batteries, le driver et le dispositif CRMX. Franck devait donc gérer « en live », les lumières pour chaque acteur. Le concept a très bien fonctionné et les acteurs ont admirablement joué le jeu en ayant conscience de leur responsabilité supplémentaire. L’effet visuel produit par les lampes frontales dans la mine de charbon mixé avec les lumières d’ambiance fonctionne à merveille.
Mais, une grande partie de l’action de cette seconde période se déroule aussi dans une mine de calcaire. Les parois blanches de cette roche ont nécessairement changé notre stratégie de lumière. Le seul effet des lampes frontales y est saisissant, à la fois de réalisme et de mystère. La « chorégraphie » des faisceaux lumineux dans l’obscurité, les ombres portées qui courent sur les parois construisent presque à elles seules l’atmosphère oppressante de ce moment du film. L’intensité des acteurs pouvait alors s’y exprimer pleinement. Ainsi, l’angoisse, la claustrophobie et la peur que l’on éprouve dans le film, trouvaient leur source autant dans l’action, l’interprétation que l’atmosphère que nous avions imaginée.
J’ai collaboré avec Panavision à de nombreuses reprises. Et chaque fois, j'ai pu compter sur l’expertise avisée du staff technique. Bien sûr, ils connaissent leurs caméras et leurs optiques, mais surtout, ils comprennent les enjeux émotionnels de l’image et comment une optique plus qu’une autre est en mesure d’y répondre.
Pour Gueules Noires, nous devions trouver des optiques capables d’encaisser les très hautes lumières, sans générer de flare, ou alors de façon très mesurée. Nous avons testé plusieurs séries d'optiques, et très rapidement les Primo 70s nous ont donné entière satisfaction. Elles sont restées performantes dans toutes les situations extrêmes auxquelles nous étions confrontés. Très peu de flares, une belle matière dans les peaux, des profondeurs dans les noirs, un très beau bokeh et peu d’aberration chromatique ou de déformation.
Duplantier : j'ai toujours aimé donner vie à ma perspective sur les choses, les gens, les situations. J’ai commencé par la photographie argentique et le jeu de distance et de proximité m’a toujours fasciné. Être à la fois dedans et en dehors.
Aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, où chaque instant, chaque personne est filmée, photographiée et mise en ligne, et où beaucoup de choses se ressemblent, il m’apparaît encore plus clairement qu’aiguiser mon propre « point de vue » est un élément essentiel de mon travail. Je crois fondamentalement que le « point de vue » est l’essence même de mon métier. Un film doit croiser et confronter le regard singulier, de ceux qui l’imaginent et offrir une expérience unique, que le travail de chef opérateur participe à construire.
Duplantier : Le scénario et les mots du réalisateur.
Production : Full Time Studio
Gaffer : Franck Barrault
1er assistant opérateur : Gaëlle Tanguy
Chef machiniste : Stéphane Germain
Coloriste : Marjolaine Mispelaere
Cheffe maquilleuse : Nathalie Tissier
Cheffe costumière : Agnès Noden
Chef décorateur : Marc Thiébault
Accessoiriste de plateau : Emmanuel Venet
Images gracieusement offertes par Full Time Studio.